En Turquie, des centaines d'enfants kurdes envoyés en prison pour "terrorisme"
LE MONDE | 18.06.10 | Istanbul Correspondance
Le gouvernement turc avait promis une réforme de la loi antiterroriste avant les vacances parlementaires estivales. Après plusieurs mois d'attente, un texte devrait être mis à l'agenda au cours du mois de juin. Le sort des "enfants lanceurs de pierres", des mineurs arrêtés en marge de manifestations pro-kurdes dans l'Est de la Turquie et condamnés à de lourdes peines par la justice, préoccupe sérieusement les organisations de défense des droits de l'homme.
Le durcissement de la législation antiterroriste turque, en 2006, a conduit des centaines de jeunes, âgés de 12 ans à 18 ans, en prison. "Près de 4 000 ont été détenus, jugés et condamnés comme s'ils étaient des adultes", explique Mehmet Atak, porte-parole de l'Appel à la justice pour les enfants, qui rassemble avocats et artistes. Actuellement, 350 adolescents sont incarcérés pour des faits mineurs, certains condamnés à des peines allant jusqu'à trente-huit ans de prison.
Berivan, une jeune Kurde de 15 ans, a été arrêtée en 2009 par la police de Diyarbakir, dans l'est de la Turquie, après une manifestation en faveur d'Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Identifiée par une photo, un foulard sur le nez, elle a nié avoir lancé des pierres sur les policiers antiémeute. Malgré une absence de preuves, la justice lui a infligé huit ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste.
Osman, 14 ans, affirme, lui, qu'il a été pris sur le chemin entre l'école et la maison, son cahier de classe sous le bras. Il a été condamné à plus de quatre ans de prison. Le simple soupçon de participation à un rassemblement en faveur des rebelles du PKK peut suffire.
A Adana, Baran a pris dix ans ferme. Pour preuve de sa culpabilité, la police avait trouvé dans sa poche un demi-citron, utilisé pour se protéger des gaz lacrymogènes.
Selon Amnesty International, qui a publié, le 17 juin, un rapport sur ces enfants kurdes, "la Turquie doit cesser les procès injustes contre les enfants au titre de la loi antiterroriste". L'organisation dénonce des procédures arbitraires, mais également des "violations des droits constatées pendant leur arrestation, leur détention et leur procès".
Mauvais traitements
Les cas de violences et de mauvais traitements sont courants. Les témoignages recueillis par Amnesty International montrent que les adolescents côtoient parfois des prisonniers de longue durée. Ils n'ont accès à la douche qu'une fois par semaine. Surtout, ils abandonnent, en entrant en prison, leur espoir d'intégrer un lycée ou une université, faute d'encadrement scolaire.
Amed, 14 ans, vient de sortir après huit mois de détention provisoire. Ce blondinet à la voix fluette raconte fièrement sa vie derrière les barreaux. "C'était dur, les gardiens nous battaient", souffle-t-il. A la sortie, le collège ne voulait plus de lui. Au désespoir de son père, la détention a radicalisé le garçon. "Que vais-je faire maintenant ? Je n'ai plus qu'à partir dans la montagne", lance-t-il, provocateur, désignant les camps du PKK.
La réforme prévue par le gouvernement pourrait alléger les peines pour les cas de premier délit et juger les enfants devant une cour pour mineurs. Le ministre de la justice, Sadullah Ergin, veut également bâtir de nouvelles prisons mieux adaptées. Mais "les lanceurs de pierre", qui défient traditionnellement la police après les manifestations, ont été arrêtés par centaines depuis 2007.
Dans toutes les villes du Sud-Est, les familles sont à cran. Le gouvernement turc avait annoncé une "ouverture démocratique" en direction des 15 millions de Kurdes de Turquie. Malgré le tollé, il a tardé à réagir et à modifier la loi, de peur d'être accusé de laxisme par les partis nationalistes. Les combats entre le PKK et l'armée turque se sont multipliés ces dernières semaines, et le 31 mai, le cessez-le-feu unilatéral a été rompu par les rebelles.
Guillaume Perrier
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