PÉROU • Le génocide oublié des Indiens du Putumayo
A la fin du XIXe siècle, des Blancs ont exploité et torturé des milliers d’esclaves indiens dans la région amazonienne du Pérou, afin de s’enrichir grâce à l’exploitation du latex.
20.01.2011 | Juana Hianaly Galeano | El Espectador
Culture de l’hévéa
20.01.2011 | Juana Hianaly Galeano | El Espectador
Culture de l’hévéa
Selon la FAO, près de 90 % du caoutchouc naturel est aujourd’hui produit en Asie du Sud-Est, où l’hévéa a été introduit au début du XXe siècle. En dépit de la suprématie du caoutchouc synthétique, le caoutchouc naturel reste indispensable dans la fabrication des pneus et continue de représenter 40 % de la demande mondiale de caoutchouc.
D’après le récit d’un Indien du Putumayo recueilli par un anthropologue français, les premiers Blancs à avoir navigué sur la rivière étaient des employés du gouvernement brésilien. C’était au début du XIXe siècle, ils avaient été envoyés pour faire du troc avec les indigènes, qui appelèrent ces premiers Blancs “les Fils de la hache”. Les Blancs leur donnèrent des haches et des machettes, et ils les utilisèrent pour cultiver du manioc et des bananes sur de grandes étendues. Pour payer les outils, ils remirent leurs premières récoltes aux Blancs. Encouragé par ces transactions, le gouvernement brésilien demanda à ses employés ce qu’ils pouvaient obtenir d’autre. “Des orphelins et des femmes”, répondirent-ils. Les Fils de la hache repartirent sur la rivière et procédèrent aux échanges. Lorsqu’ils reprirent le chemin du Brésil, leur bateau était chargé d’Indiens de la région du Putumayo. Presque un siècle plus tard, d’autres Blancs, venus cette fois du Pérou et de Colombie, envahirent les forêts bordant les rivières Putumayo et Caquetá. Nous étions à la fin du XIXe siècle, la fièvre du caoutchouc s’était emparée de l’Amazonie et des exploitations d’hévéas s’implantaient partout dans la région. Les nouveaux colons, ne trouvant pas satisfaisant le troc esclavagiste instauré par leurs prédécesseurs, décidèrent d’assujettir tous les peuples indigènes de la zone. En 1903, la société caoutchoutière péruvienne Casa Arana & Hermanos [Maison Arana et Frères], appartenant à Julio C. Arana, un homme d’affaires originaire de la province de Rioja, renforça sa domination sur le secteur. Sous le prétexte de civiliser les “sauvages”, la nouvelle génération de Fils de la hache poursuivait les “Gens du centre” jusqu’au plus profond de la forêt pour les emmener comme esclaves dans les exploitations proches des affluents du Putumayo. Sous la conduite d’Indiens renégats et armés de Winchester, les contremaîtres d’Arana organisaient des chasses à l’indigène : jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants, tous les Gens du centre qui ne mouraient pas en résistant étaient faits prisonniers et conduits dans les domaines caoutchoutiers. Des Indiens Witotos, Mirañas, Ocainas, Andokes, Nonuyas, Muinanes et Boras furent ainsi arrachés à leurs forêts et conduits comme esclaves à la Casa Arana.
On leur coupait les tendons
La grande exploitation caoutchoutière était divisée en deux domaines, La Chorrera et El Encanto, administrés respectivement par Víctor Macedo et Miguel de Loayza et régentés par quatre cents employés. Pour mieux contrôler les esclaves indiens, les deux domaines étaient à leur tour divisés en vingt sections, chacune comptant dix ou vingt racionales [“rationnels”], c’est-à-dire des contremaîtres ou des hommes de confiance recrutés parmi des Indiens renégats ou des Noirs amenés de la Barbade [et donc sujets anglais] surnommés “les Hyènes du Putumayo”. Le travail consistait à extraire le latex des hévéas de la forêt : au bout de dix jours, les Indiens devaient revenir aux baraquements avec quatorze kilos de latex. On mettait ce qu’ils avaient rapporté sur une balance et si l’aiguille n’atteignait pas le poids exigé, ils étaient fouettés jusqu’au sang et on leur coupait les tendons. Parfois, on les fusillait. D’après les contremaîtres, le but de ce cruel régime de sanctions était d’éradiquer toute trace de “paresse naturelle” chez les Indiens. Après plusieurs centaines de coups de fouet, les suppliciés étaient abandonnés sur le billot, leurs blessures s’infectaient et les asticots envahissaient les chairs mortes. Ceux qui survivaient portaient à jamais la marque d’Arana, connue de tous.
Les tortures incluaient la mutilation “des oreilles, des jambes, des doigts, des bras”, comme l’a dénoncé l’ingénieur américain Walter Hardenburg devant la justice anglaise lorsqu’il a raconté ce qu’il avait vu dans le domaine d’El Encanto, administré par Miguel de Loayza, ainsi que la castration et le “tir à la cible”, très prisé le samedi précédant le jour de Pâques. Le génocide dura plusieurs décennies et même l’action en justice engagée en Angleterre contre l’entreprise anglaise Peruvian Amazon Rubber Company, le nouveau nom d’Arana & Hermanos, ne parvint pas à y mettre fin. Le procès sur les “crimes du Putumayo” intenté au Pérou montra quant à lui qu’un grand nombre de politiciens influents trouvaient qu’une tonne de caoutchouc valait plus que la vie de sept Indiens. Julio C. Arana utilisa son pouvoir politique et économique pour étouffer le scandale du Putumayo. Le génocide resta impuni, l’ancien sénateur et ses employés vécurent libres jusqu’à la fin de leurs jours et les innombrables témoignages des suppliciés et des bourreaux restèrent confinés dans les livres et la mémoire des descendants des victimes. Après la liquidation de la Peruvian Amazon Rubber Company, certains patrons péruviens rentrèrent chez eux en emportant leurs “esclaves” dans leurs bagages.
6 000 Indiens survivants
Cent ans plus tard, Florentina, une vieille Indienne Bora qui n’était qu’une petite fille lorsque ses patrons commencèrent leur migration vers la vallée de l’Ampiyacu, au Pérou, se souvient : “Les patrons nous ont emmenés très loin, dans un autre endroit. Là-bas, ils ne nous torturaient plus, nous devions juste travailler très dur pour eux. Nous avons été beaucoup d’Indiens à monter dans les bateaux à vapeur avec les patrons. Des gens de différents clans et différents peuples.” Doña Florentina veut parler des déportations effectuées par les patrons péruviens de l’ancienne Peruvian Amazon Company lorsqu’ils ont vu qu’ils allaient perdre leurs terres et leurs esclaves. Dans un “acte patriotique”, les caoutchoutiers ont fait monter dans leurs bateaux 6 000 Indiens qui avaient survécu à la barbarie. Le patron dont parle la vieille dame est Miguel de Loayza, l’homme qui, avec son frère, avait colonisé le bassin de l’Ampiyacu, un affluent de l’Amazone, dans la région de Pebas. Le corps desséché de doña Florentina, fille de l’exode, reste immobile dans le hamac pendant qu’elle raconte son passé dans sa langue. Près d’Iquitos, sur les rives de la Momón, vivent des descendants des enfants de l’exode. Lorsqu’on interroge don Rafael, le patriarche de la communauté, sur ses origines, il répond ceci : “Mes ancêtres étaient colombiens, mais moi je suis né au Pérou, dans la communauté de Brillo Nuevo, à la source de l’Ampiyacu. Je suis venu ici il y a une quarantaine d’années et j’ai fondé une communauté.” Il dit que c’est Miguel de Loayza qui les a amenés au Pérou. “Nous sommes vivants grâce à lui”, ajoute-t-il. Paradoxalement, ce témoignage présentant Miguel de Loayza comme un “sauveur” coïncide avec celui d’autres survivants des peuples qui ont été emmenés au Pérou et se sont installés sur les rives de différents cours d’eau dans l’Amazonie péruvienne.
Quelques décennies plus tard, les frères Loayza et leurs contremaîtres non seulement s’étaient assuré l’impunité, mais cohabitaient avec les indigènes et avaient renforcé leurs liens avec eux par des mariages. Selon le juge chargé de l’enquête sur les crimes du Putumayo, Loayza avait déjà montré sa sagacité par le passé en prenant toutes les précautions possibles pour ne laisser aucune trace de sa participation au génocide. Pourtant, W. Hardenburg, l’ingénieur américain qui avait été témoin des tortures, avait raconté les crimes et les sévices perpétrés par Loayza dans un récit publié à l’époque [en 1909] par un quotidien londonien [The Truth] sous le titre “Le paradis du diable”. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de trouver dans les principales villes de la forêt péruvienne des rues portant le nom d’Arana, illustre personnage qui parvint à se faire élire au Sénat après un passé de criminel dans la production de caoutchouc. Tout comme il n’est pas étonnant qu’à Iquitos, ancien épicentre du caoutchouc dans l’Amazonie péruvienne, toutes les traces du génocide aient été effacées et que la population soit en proie à une amnésie collective.
En 2007, Oraldo Reategui, le directeur de La Voz de la Selva [La voix de la forêt], une radio d’Iquitos à destination des habitants de l’Amazonie, a voulu marquer les cent ans de la révélation des crimes de la Casa Arana, dénoncés pour la première fois en 1907 dans La Felpa, un quotidien d’Iquitos. <1>“A Iquitos, on ne sait rien ou presque des actes de barbarie commis par les caoutchoutiers et personne ne se souvient du génocide, explique-t-il. Nous nous sommes dit que nous étions responsables de cette méconnaissance, et nous avons décidé de transformer la radio en un centre de rayonnement.” Déterminé à résoudre le puzzle de la Casa Arana, il a retrouvé à Iquitos une petite-fille de Miguel de Loayza qui ignorait tout du passé de son aïeul et de la charge historique associée à son nom. Sheila de Loayza est l’un des fruits du métissage entre patrons et péons. “Après avoir été interviewée par La Voz de la Selva, j’ai commencé à faire des recherches sur la véritable identité de mon grand-père et j’ai interrogé les sœurs de mon père, raconte-t-elle. Elles m’ont dit que mon grand-père était administrateur de biens, mais n’ont pas dit un seul mot sur ma grand-mère : c’était une Indienne Witoto et mes tantes nient leur origine indigène.” Lorsque Sheila a parlé des accusations portées contre son grand-père, ses tantes ont démenti en bloc et rechigné à poursuivre la conversation. Il y a quelques années, Sheila a raconté son histoire devant un public indien. A sa grande surprise, plusieurs personnes sont venues l’embrasser après son intervention. “Tu es la petite-fille du patron. Ton grand-père m’a amené d’El Estrecho lorsque j’étais orphelin et m’a élevé à Pucahurquillo, au bord de l’Ampiyacu”, lui a dit un vieil homme en la serrant dans ses bras. Sheila a alors senti qu’elle était arrivée au bout de sa quête. Elle avait trouvé des gens qui, sans peur et sans honte, reconnaissaient dans ses grands-parents des personnes réelles, et non pas des personnages issus de l’idéalisation familiale ou d’un récit historique.
Avec du sang de victime et de bourreau dans les veines, Sheila de Loayza incarne le paradoxe de la Casa Arana au Pérou : Iquitos, épicentre de l’ancien royaume du caoutchouc, dans la forêt péruvienne, est l’un des lieux où l’on en sait le moins sur le génocide perpétré par la Casa Arana, si bien dissimulé par les responsables qu’il en a été défiguré. La quête de cette petite-fille de l’un des tortionnaires montre que le “paradis du diable” est aujourd’hui une zone d’ombre dans le passé du Pérou et que son histoire cruelle est maintenue dans les ténèbres.
On leur coupait les tendons
La grande exploitation caoutchoutière était divisée en deux domaines, La Chorrera et El Encanto, administrés respectivement par Víctor Macedo et Miguel de Loayza et régentés par quatre cents employés. Pour mieux contrôler les esclaves indiens, les deux domaines étaient à leur tour divisés en vingt sections, chacune comptant dix ou vingt racionales [“rationnels”], c’est-à-dire des contremaîtres ou des hommes de confiance recrutés parmi des Indiens renégats ou des Noirs amenés de la Barbade [et donc sujets anglais] surnommés “les Hyènes du Putumayo”. Le travail consistait à extraire le latex des hévéas de la forêt : au bout de dix jours, les Indiens devaient revenir aux baraquements avec quatorze kilos de latex. On mettait ce qu’ils avaient rapporté sur une balance et si l’aiguille n’atteignait pas le poids exigé, ils étaient fouettés jusqu’au sang et on leur coupait les tendons. Parfois, on les fusillait. D’après les contremaîtres, le but de ce cruel régime de sanctions était d’éradiquer toute trace de “paresse naturelle” chez les Indiens. Après plusieurs centaines de coups de fouet, les suppliciés étaient abandonnés sur le billot, leurs blessures s’infectaient et les asticots envahissaient les chairs mortes. Ceux qui survivaient portaient à jamais la marque d’Arana, connue de tous.
Les tortures incluaient la mutilation “des oreilles, des jambes, des doigts, des bras”, comme l’a dénoncé l’ingénieur américain Walter Hardenburg devant la justice anglaise lorsqu’il a raconté ce qu’il avait vu dans le domaine d’El Encanto, administré par Miguel de Loayza, ainsi que la castration et le “tir à la cible”, très prisé le samedi précédant le jour de Pâques. Le génocide dura plusieurs décennies et même l’action en justice engagée en Angleterre contre l’entreprise anglaise Peruvian Amazon Rubber Company, le nouveau nom d’Arana & Hermanos, ne parvint pas à y mettre fin. Le procès sur les “crimes du Putumayo” intenté au Pérou montra quant à lui qu’un grand nombre de politiciens influents trouvaient qu’une tonne de caoutchouc valait plus que la vie de sept Indiens. Julio C. Arana utilisa son pouvoir politique et économique pour étouffer le scandale du Putumayo. Le génocide resta impuni, l’ancien sénateur et ses employés vécurent libres jusqu’à la fin de leurs jours et les innombrables témoignages des suppliciés et des bourreaux restèrent confinés dans les livres et la mémoire des descendants des victimes. Après la liquidation de la Peruvian Amazon Rubber Company, certains patrons péruviens rentrèrent chez eux en emportant leurs “esclaves” dans leurs bagages.
6 000 Indiens survivants
Cent ans plus tard, Florentina, une vieille Indienne Bora qui n’était qu’une petite fille lorsque ses patrons commencèrent leur migration vers la vallée de l’Ampiyacu, au Pérou, se souvient : “Les patrons nous ont emmenés très loin, dans un autre endroit. Là-bas, ils ne nous torturaient plus, nous devions juste travailler très dur pour eux. Nous avons été beaucoup d’Indiens à monter dans les bateaux à vapeur avec les patrons. Des gens de différents clans et différents peuples.” Doña Florentina veut parler des déportations effectuées par les patrons péruviens de l’ancienne Peruvian Amazon Company lorsqu’ils ont vu qu’ils allaient perdre leurs terres et leurs esclaves. Dans un “acte patriotique”, les caoutchoutiers ont fait monter dans leurs bateaux 6 000 Indiens qui avaient survécu à la barbarie. Le patron dont parle la vieille dame est Miguel de Loayza, l’homme qui, avec son frère, avait colonisé le bassin de l’Ampiyacu, un affluent de l’Amazone, dans la région de Pebas. Le corps desséché de doña Florentina, fille de l’exode, reste immobile dans le hamac pendant qu’elle raconte son passé dans sa langue. Près d’Iquitos, sur les rives de la Momón, vivent des descendants des enfants de l’exode. Lorsqu’on interroge don Rafael, le patriarche de la communauté, sur ses origines, il répond ceci : “Mes ancêtres étaient colombiens, mais moi je suis né au Pérou, dans la communauté de Brillo Nuevo, à la source de l’Ampiyacu. Je suis venu ici il y a une quarantaine d’années et j’ai fondé une communauté.” Il dit que c’est Miguel de Loayza qui les a amenés au Pérou. “Nous sommes vivants grâce à lui”, ajoute-t-il. Paradoxalement, ce témoignage présentant Miguel de Loayza comme un “sauveur” coïncide avec celui d’autres survivants des peuples qui ont été emmenés au Pérou et se sont installés sur les rives de différents cours d’eau dans l’Amazonie péruvienne.
Quelques décennies plus tard, les frères Loayza et leurs contremaîtres non seulement s’étaient assuré l’impunité, mais cohabitaient avec les indigènes et avaient renforcé leurs liens avec eux par des mariages. Selon le juge chargé de l’enquête sur les crimes du Putumayo, Loayza avait déjà montré sa sagacité par le passé en prenant toutes les précautions possibles pour ne laisser aucune trace de sa participation au génocide. Pourtant, W. Hardenburg, l’ingénieur américain qui avait été témoin des tortures, avait raconté les crimes et les sévices perpétrés par Loayza dans un récit publié à l’époque [en 1909] par un quotidien londonien [The Truth] sous le titre “Le paradis du diable”. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de trouver dans les principales villes de la forêt péruvienne des rues portant le nom d’Arana, illustre personnage qui parvint à se faire élire au Sénat après un passé de criminel dans la production de caoutchouc. Tout comme il n’est pas étonnant qu’à Iquitos, ancien épicentre du caoutchouc dans l’Amazonie péruvienne, toutes les traces du génocide aient été effacées et que la population soit en proie à une amnésie collective.
En 2007, Oraldo Reategui, le directeur de La Voz de la Selva [La voix de la forêt], une radio d’Iquitos à destination des habitants de l’Amazonie, a voulu marquer les cent ans de la révélation des crimes de la Casa Arana, dénoncés pour la première fois en 1907 dans La Felpa, un quotidien d’Iquitos. <1>“A Iquitos, on ne sait rien ou presque des actes de barbarie commis par les caoutchoutiers et personne ne se souvient du génocide, explique-t-il. Nous nous sommes dit que nous étions responsables de cette méconnaissance, et nous avons décidé de transformer la radio en un centre de rayonnement.” Déterminé à résoudre le puzzle de la Casa Arana, il a retrouvé à Iquitos une petite-fille de Miguel de Loayza qui ignorait tout du passé de son aïeul et de la charge historique associée à son nom. Sheila de Loayza est l’un des fruits du métissage entre patrons et péons. “Après avoir été interviewée par La Voz de la Selva, j’ai commencé à faire des recherches sur la véritable identité de mon grand-père et j’ai interrogé les sœurs de mon père, raconte-t-elle. Elles m’ont dit que mon grand-père était administrateur de biens, mais n’ont pas dit un seul mot sur ma grand-mère : c’était une Indienne Witoto et mes tantes nient leur origine indigène.” Lorsque Sheila a parlé des accusations portées contre son grand-père, ses tantes ont démenti en bloc et rechigné à poursuivre la conversation. Il y a quelques années, Sheila a raconté son histoire devant un public indien. A sa grande surprise, plusieurs personnes sont venues l’embrasser après son intervention. “Tu es la petite-fille du patron. Ton grand-père m’a amené d’El Estrecho lorsque j’étais orphelin et m’a élevé à Pucahurquillo, au bord de l’Ampiyacu”, lui a dit un vieil homme en la serrant dans ses bras. Sheila a alors senti qu’elle était arrivée au bout de sa quête. Elle avait trouvé des gens qui, sans peur et sans honte, reconnaissaient dans ses grands-parents des personnes réelles, et non pas des personnages issus de l’idéalisation familiale ou d’un récit historique.
Avec du sang de victime et de bourreau dans les veines, Sheila de Loayza incarne le paradoxe de la Casa Arana au Pérou : Iquitos, épicentre de l’ancien royaume du caoutchouc, dans la forêt péruvienne, est l’un des lieux où l’on en sait le moins sur le génocide perpétré par la Casa Arana, si bien dissimulé par les responsables qu’il en a été défiguré. La quête de cette petite-fille de l’un des tortionnaires montre que le “paradis du diable” est aujourd’hui une zone d’ombre dans le passé du Pérou et que son histoire cruelle est maintenue dans les ténèbres.
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