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Τετάρτη 12 Ιανουαρίου 2011

Entretien avec Helmut Schmidt, ancien chancelier allemand (1974-1982)
Helmut Schmidt : "L'Europe manque de dirigeants"
07.12.10
Le Monde.fr et Le Monde (daté mercredi 8 décembre 2010) publient conjointement, en exclusivité française, un entretien avec Helmut Schmidt, ancien chancelier allemand (SPD, 1974-1982), réalisé par l'Omfif (Official Monetary and Financial Institutions Forum).
Depuis de nombreuses années, l'Allemagne mène deux politiques parallèles : attachement à la stabilité monétaire et financière d'une part, engagement à l'égard de l'intégration européenne de l'autre. Avec la crise en cours dans l'union économique et monétaire, estimez-vous que ces deux politiques ne sont plus compatibles ?
Permettez-moi d'abord de dire un mot du contexte politique d'ensemble.
Je ne parlerai pas du gouvernement britannique – il vient d'entrer en fonction et je n'en connais pas les dirigeants. Aussi ma réponse ne concernera pas la Grande-Bretagne.
Mais je dirais que, d'une manière générale, l'Europe manque de dirigeants. Il lui manque des personnalités, à la tête des Etats nationaux ou dans les institutions européennes, qui aient une maîtrise suffisante des questions nationales et internationales et qui fassent preuve d'une capacité de jugement adéquate. Il existe bien sûr quelques exceptions, comme le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, mais le Luxembourg pèse d'un poids trop faible pour jouer un rôle substantiel.
Pour en revenir plus précisément à votre question, je ne pense pas que les Allemands en général ni la classe politique allemande aient renoncé à la stabilité. Les conditions qui ont prévalu en 2008, 2009 et 2010 les ont contraints – comme quasiment tout le monde – à trahir leurs idéaux de stabilité, mais cela n'était pas le résultat de leur libre volonté mais du ralentissement économique.
J'ajouterai que l'actuel gouvernement allemand est composé de gens qui apprennent leur métier sur le tas. Ils n'ont eu jusqu'ici aucune expérience des affaires politiques ou économiques mondiales. Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, est un homme auquel je souhaite de réussir et pour lequel j'éprouve un profond respect. Il a une bonne compréhension des problèmes budgétaires et fiscaux. Mais en ce qui concerne les marchés monétaires internationaux, les marchés des capitaux, le système bancaire, la surveillance des banques ou les banques fantômes, tout cela est nouveau pour lui. Il en va de même pour Angela Merkel. Loin de moi l'idée de critiquer M. Schäuble ou Mme Merkel, mais nous avons besoin d'avoir aux postes de responsabilités des gens qui comprennent le monde économique d'aujourd'hui.
Certains pensent que le problème est plus profond que cela. D'après eux, ce fut une erreur fondamentale dès le départ de s'engager dans une union monétaire sans procéder à une union politique, sans même avoir une perspective d'union politique.
C'est ce que la Bundesbank répète depuis trente ans. Au fond d'eux-mêmes, ces gens sont des réactionnaires. Ils sont hostiles à l'intégration européenne.
A qui pensez-vous exactement ? Qui avez-vous en tête, puisque des hommes comme Hans Tietmeyer [président de la Bundesbank de 1993 à 1998] ne jouent plus un rôle important…
Mais ses successeurs, à une exception près peut-être, ont des positions réactionnaires vis-à-vis de l'intégration européenne. On ne peut pas vraiment dire qu'ils ont une pensée libérale. Ils ont une tendance excessive à agir et réagir en fonction des seuls intérêts nationaux et n'ont pas compris la nécessité stratégique de l'intégration européenne.
On connaît l'expression: "Beim Geld hört die Freundschaft auf" [l'amitié s'arrête avec l'argent]. On a le sentiment que l'on demande aujourd'hui aux Allemands, en tant que collectivité, de venir en aide aux Etats moins fortunés. Et les Allemands ont beaucoup de mal à l'accepter.
L'erreur a été commise à l'époque de Maastricht, en 1991-1992. L'Europe comprenait alors douze Etats membres. Et ceux-ci ne se sont pas contentés d'inviter les autres pays à entrer dans l'Union européenne, ils ont également inventé l'euro et invité chacun à devenir membre de la zone euro. Or cela a été fait sans préalablement modifier ni clarifier les règles. C'est là que de grandes erreurs ont été commises. Et nous pâtissons aujourd'hui directement des conséquences de cette omission à fixer des règles.
Les Etats de l'Union européenne auraient-ils dû limiter l'euro à un petit groupe de pays ?
C'est mon avis – et ils auraient également dû définir plus précisément les règles de conduite économique des participants. Ce que l'on appelle le pacte de stabilité et de croissance n'est pas un texte ayant force de loi. C'est juste un accord entre gouvernements. Et il est très regrettable qu'au début de ce siècle, la France et l'Allemagne aient enfreint les règles de ce pacte. Mme Merkel voudrait corriger ces erreurs, mais ses chances d'y parvenir sont faibles, notamment parce qu'elle manque de sens diplomatique.
En son for intérieur, Hans Tietmeyer ne voulait pas que les Italiens entrent dans l'union monétaire. Dans les années 1990, vous l'aviez critiqué en le qualifiant de nationaliste allemand parce qu'il affirmait que l'Europe avait besoin d'un noyau dur. N'est-ce pas précisément ce que vous recommandez à présent ?
Beaucoup de choses se sont passées entre-temps – la mondialisation de la spéculation, la mondialisation de l'argent et des marchés des capitaux, la mondialisation des instruments financiers. Nous avons assisté au rejet du projet de Constitution européenne, nous avons conclu ce complexe traité de Lisbonne. Beaucoup de choses se sont passées et, dans le même temps, les personnalités capables de jouer un rôle dirigeant se sont faites de plus en plus rares. Jacques Delors était quelqu'un de très important. Il a été remplacé par des gens dont personne ne connaît vraiment le nom.
Il s'est passé la même chose au niveau des secrétaires permanents, des commissaires, des premiers ministres et de… comment s'appelle-t-il déjà… Van Rompuy ? Lequel a paraît-il une secrétaire aux affaires étrangères – une Anglaise dont on peut aisément se passer de connaître le nom. La même chose est vraie, plus ou moins, du Parlement européen. La seule personnalité qui émerge dans les institutions européennes est Jean-Claude Trichet. J'ignore s'il est en position de force au sein de la Banque centrale européenne, mais autant que je puisse en juger, il n'a commis jusqu'ici aucune erreur notable.
Mais son temps est compté. Son mandat s'achève fin octobre 2011 et ne peut être renouvelé.
Oui, je sais. Mais il est totalement indépendant. D'une certaine manière, cela pourrait lui permettre de s'exprimer en toute liberté. Le problème est de savoir qui lui prêtera attention alors qu'il doit quitter son poste dans moins d'un an.
La Grèce et le Portugal ont intégré l'union monétaire avec une balance extérieure nette plus ou moins égale à zéro : leurs actifs extérieurs et leurs dettes extérieures étaient plus ou moins équivalents. Ensuite, ils ont enregistré chaque année pendant une dizaine d'années des déficits des comptes courants équivalant à 10 % de leur PIB. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que leur dette extérieure nette atteint aujourd'hui 100 % de leur PIB.
La question qu'il faut se poser est : comment se fait-il que personne n'ait rien remarqué – ni à Bâle [siège de la Banque des réglements internationaux], ni à Bruxelles, ni dans un quelconque bureau des statistiques ? Personne ne semble avoir compris.
Soit dit en passant, pendant une longue période, l'élite politique allemande n'a pas compris que nous enregistrions des excédents dans nos comptes courants. Nous, Allemands, faisons la même chose que les Chinois – la grande différence étant que les Chinois ont leur propre monnaie, ce qui n'est pas notre cas. Si nous avions notre propre monnaie, elle aurait été réévaluée à l'heure qu'il est.
Garder le deutschemark, comme le souhaitait Tietmayer, aurait, au moins une fois sinon deux au cours des vingt dernières années, provoqué une spéculation contre le deutschemark d'une ampleur pire que ce à quoi nous avons assisté avec la Grèce ou l'Irlande.
Jusqu'à présent je reste totalement favorable à l'idée d'une monnaie commune, même si les dirigeants européens ont échoué à fixer des règles et ont commis l'énorme erreur d'accueillir n'importe qui.
Je pense qu'il existe une probabilité d'au moins 51 % pour qu'au cours des vingt prochaines années on voie émerger un noyau dur au sein de l'Union. Ce noyau comprendrait les Français, les Allemands, les Néerlandais – pour ce qui est des Italiens, j'ai quelques doutes. Je suis pratiquement sûr que les Britanniques n'en feront pas partie, et la même chose pourrait être vraie des Polonais. Il ne s'agirait pas d'un noyau dur défini par des documents écrits, mais d'un noyau dur de facto, pas de jure.
Et, bien entendu, on y trouverait les Etats du Benelux, l'Autriche, et probablement le Danemark et la Suède…
Il est probable que l'Autriche en soit, et possible qu'y figurent aussi le Danemark et la Suède. Quant aux Danois, ils sont très prudents et suivraient probablement Londres.
Je sais que vous avez souvent déclaré que, si les Allemands gardaient le deutschemark, ils se rendraient très impopulaires auprès du reste du monde ; leurs banques et leur monnaie seraient les nos 1 mondiaux, tous les autres pays seraient contre eux, et c'est pourquoi l'Allemagne devrait adopter l'euro afin de s'intégrer à une vaste dynamique européenne. Tout cela est assez ironique, parce que certains disent que l'Allemagne a beaucoup profité de l'euro du fait que le deutschemark a été maintenu à un niveau faible, et que cela a aidé les exportations allemandes…
Je me demande si le soi-disant bénéfice que nous avons retiré de l'adoption de l'euro est réellement un bénéfice. Je me demande si le fait de présenter des excédents permanents des comptes courants constitue vraiment un avantage. Sur le long terme, cela n'a rien d'avantageux…
...parce qu'à long terme ces actifs devront être dépréciés car ils ne seront pas remboursés…
Oui… cela signifie que vous vendez des marchandises et que tout ce que vous obtenez en échange, c'est de la monnaie papier qui sera un jour ou l'autre dévaluée, et que vous devrez rayer de votre bilan. C'est pourquoi vous privez votre propre pays de produits que, dans d'autres circonstances, la population aimerait consommer.
Diriez-vous que dans vingt ans, au cas où un noyau dur émerge, la monnaie serait plus forte qu'aujourd'hui ?
Ce noyau dur ne se limiterait sans doute pas au domaine des monnaies, mais interviendrait probablement sur le terrain de la politique étrangère à mener par exemple vis-à-vis de la Chine, de l'Iran, de l'Afghanistan ou d'une nouvelle coalition d'Etats musulmans. La constitution d'une telle coalition de pays musulmans est l'un des grands dangers du XXIe siècle. Si un président américain voulait larguer une bombe atomique sur l'Iran, les Européens seraient suffisamment forts pour refuser de se ranger aux côtés de Washington. Aujourd'hui, en Europe, personne n'est assez puissant pour pouvoir prendre une telle position.
Parlons un peu de la France. Les Français penchent en permanence dans deux directions contradictoires – vers le Sud, mais aussi vers l'Allemagne. Pensez-vous que l'on puisse dire de façon irréfutable que la France choisira toujours de se ranger aux côtés de l'Allemagne dans une union monétaire plus resserrée et plus compacte ?
C'est difficile à dire. J'en estimerais la probabilité à 51 % – ce qui laisse 49 % d'incertitude. Je ne suis pas prophète. Je ne sais pas. Cela dépend beaucoup du comportement des Allemands. A l'époque où j'étais au pouvoir, je laissais toujours les Français me précéder sur le tapis rouge. Je ne suis jamais apparu comme leader, sauf une fois – au sujet des missiles nucléaires à moyenne portée qui étaient braqués sur les villes allemandes –, et cela m'a finalement coûté mon poste.(...)
Dans le passé on avait l'habitude de dire: "Nous ne voulons pas une Europe allemande, mais une Allemagne européenne" [Wir wollen kein deutsches Europa sondern ein europaisches Deutschland]. Pourtant beaucoup trouvent aujourd'hui qu'en raison de son importance comme principal pays créancier d'Europe, l'Allemagne fait trop sentir son poids en Europe.
J'ai l'impression que Merkel n'en a pas conscience.
Il est possible qu'en tant que créancier, vous vous sentiez vulnérable, que vous ayez l'impression que vos actifs vont être dépréciés. Peut-être n'est-ce pas très souhaitable d'être un créancier, car cela vous rend impopulaire. Peut-être que cela signifie aussi que votre solde en banque, vos réserves seront toujours moins élevés que vous l'aviez cru, du fait que les gens ne vont pas être capables de rembourser leurs dettes…
Cela va bien au-delà de la question des monnaies et des réserves de devises. Et donc cela a à voir avec la psychologie… Je parle de la psychologie des nations, de leurs opinions publiques et des options qu'elles affichent publiquement. [A cause des nazis et de la seconde guerre mondiale] l'Allemagne aura une dette à payer pendant encore très longtemps – durant tout le XXIe siècle et peut-être même le XXIIe. Il est un fait que les Allemands se comportent parfois comme s'ils étaient les plus forts, ils ont tendance à donner des leçons à tout le monde. En réalité, ils sont plus vulnérables qu'ils ne croient.
Pourtant les Allemands eux-mêmes ne se sentent pas aussi forts que cela, j'ai l'impression que l'homme de la rue se sent quelque peu incertain, les salaires en termes réels sont sous pression depuis de nombreuses années. Je crois que l'Allemand moyen ne se sent ni fort ni assuré.
C'est probablement exact. Mais cela ne s'applique pas à la classe politique. Cela ne s'applique pas nécessairement à l'aile droite des chrétiens-démocrates. Et cela ne concerne pas nécessairement l'extrême gauche.
L'Europe pensait qu'elle allait pouvoir éviter les crises en se débarrassant de ses taux de change intérieurs et en créant l'union monétaire. Mais il apparaît aujourd'hui qu'en raison de la mondialisation de la finance, les spéculateurs vont désormais attaquer les "spreads" [entre les marchés obligataires des différents pays]. Auparavant ils s'attaquaient aux monnaies, aujourd'hui, ils s'en prennent aux marchés des obligations.
L'un des points les plus faibles de l'économie mondiale est qu'il n'existe aucun contrôle sur le comportement des gestionnaires financiers. Vous pouvez diviser l'humanité en trois catégories. Dans la première, on trouve les gens normaux comme vous et moi. Il a pu nous arriver, dans notre jeunesse, de chaparder une pomme sur l'arbre du voisin ou de voler une tablette de chocolat dans un supermarché. Mais à part cela, nous sommes des êtres humains fiables et normaux. En deuxième lieu, vous avez une petite catégorie de gens ayant un caractère criminel. La troisième catégorie, enfin, est formée des banquiers d'investissement. On y trouve toutes les sociétés de Bourse et leurs opérateurs. Ils opèrent sous des noms différents, mais ils se ressemblent tous.
Et la Grande-Bretagne ? Vous entreteniez d'excellentes relations avec James Callaghan, mais il n'a pas intégré le système monétaire européen. Croyez-vous que nous, Britanniques, ayons eu raison de ne pas entrer dans l'union monétaire ? Je sais que vous pensez que nous resterons en dehors pendant très longtemps et je crois que vous avez raison. Pensez-vous que c'était une décision fondamentalement correcte ?
Fondamentalement, je pense que de Gaulle avait raison – bien avant le système monétaire européen.
Vous voulez dire qu'il avait raison de penser que le Royaume-Uni préférerait toujours les Etats-Unis à l'Europe ?
Pendant longtemps j'ai cru au bon sens britannique et à la raison de l'Etat britannique. J'ai grandi dans une atmosphère très anglophile. J'ai été un fervent partisan d'Edward Heath, qui a fait entrer la Grande-Bretagne dans la communauté européenne. Mais ensuite, il y a eu Harold Wilson, puis Margaret Thatcher, qui ne se sont pas toujours comportés de façon aussi judicieuse. Et puis nous avons eu Tony Blair, qui s'est placé dans une position de dépendance beaucoup trop grande à l'égard de l'Amérique. Vous ne pouvez à la fois dépendre à ce point des Etats-Unis et jouer un rôle responsable en Europe. Mais les Anglais ont toujours eu le chic pour s'en sortir – et c'est exactement ce que nous sommes en train de faire en Europe : essayer tant bien que mal de nous en sortir.
© Le think tank britannique Official Monetary and Financial Institutions Forum (OMFIF)www.omfif.org
Propos recueillis par David Marsh (traduit de l'anglais par Gilles Berton)

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