A la frontière arménienne, l'affront à M. Erdogan
La dernière victime du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est une inoffensive sculpture. Le "monument de l'humanité", une statue haute d'une trentaine de mètres érigée sur les hauteurs de Kars, à la frontière avec l'Arménie, pour encourager la réconciliation entre les deux pays, a été qualifié le week-end dernier de "monstruosité" par le chef du gouvernement, en visite dans la région. La réflexion a de quoi surprendre, dans un pays défiguré par des milliers de statues de Mustafa Kemal, le fondateur vénéré de la République turque. Mais à Kars, c'est moins l'esthétique du monument que l'emplacement choisi qui est en cause. "Ils ont construit une chose étrange, une monstruosité, à côté du mausolée d'Abou Hasan Harakani", une figure de l'islam turc du XIe siècle, a regretté M. Erdogan. Le maire de Kars, membre de l'AKP (Parti de la justice et du développement), "va très vite faire son travail" : réparer cet "affront" et le transformer en un "joli parc", a ordonné l'autoritaire premier ministre. La démolition de l'oeuvre inachevée semble inéluctable.
Cette sculpture, imaginée par Mehmet Aksoy, représente "un être humain coupé en deux. Les deux parties sont dans une position de confrontation, l'une contre l'autre, rendues ennemies. Elles redeviennent une seule et même personne avec la main tendue", explique l'artiste turc, qui compare son homme de pierre aux bouddhas de Bamiyan, dynamités par les talibans.
UN APPEL À LA PAIX
Sa réalisation avait été décidée en 2005 par l'ancien maire de Kars, Naif Alibeyoglu, fervent partisan d'une réconciliation avec l'Arménie. Cent mille personnes avaient signé sa pétition pour réclamer la réouverture de la frontière, fermée par la Turquie en 1993 en représailles à l'occupation par les troupes arméniennes du Haut-Karabakh, une province d'Azerbaïdjan. Un siècle après, le génocide des Arméniens d'Anatolie de 1915 et son déni par la Turquie continuent de barrer la voie à la réconciliation. En 2009, la signature d'une feuille de route pour la réouverture de la frontière, sous le parrainage de la Suisse, avait laissé espérer un rapprochement, mais le processus est aujourd'hui gelé.
"Cette statue était mon appel à la paix", rappelle aujourd'hui M. Alibeyoglu. Mais l'initiative a irrité les nationalistes turcs, opposés à toute forme de repentance, et la commission nationale des monuments, qui avait autorisé la construction, s'est déjugée. "C'est une statue arménienne. La Turquie n'a pas à avoir honte de quoi que ce soit", a vociféré cette semaine Oktay Aktas, le dirigeant local du parti ultranationaliste (MHP). Venu plusieurs fois à Kars ces derniers mois, notamment pour une prière provocatrice dans la cathédrale d'Ani, la capitale détruite d'un ancien royaume arménien, le leader du MHP, Devlet Bahçeli, a poussé M. Erdogan à la surenchère nationaliste, à six mois des élections législatives.
Guillaume Perrier
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