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Δευτέρα 10 Ιανουαρίου 2011

Turquie / Le côté silencieux du conflit kurde


Burcin Belge
"On n'entend pas beaucoup parler de ceux qui sont pris entre deux feux en période de guerre, les femmes et les enfants. Je suis l'une de ces enfants, née au milieu d'une guerre..."

Lawin a 23 ans et elle est Kurde. Elle n'avait qu'un an lorsqu'a été évacué son village, dans la région de Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie. Sa famille vit maintenant à Istanbul où, lorsqu'elle a de la chance, la jeune femme travaille comme secrétaire. En ce moment, elle est au chômage.

"L'armée a évacué notre village. Nous avons déménagé à la sous-préfecture", se souvient-elle. "Tous les hommes de la famille ont été arrêtés durant les affrontements. Mon père a été le premier à être relâché. Nous nous sommes installés à Diyarbakir, puis à Istanbul. Mon père n'a jamais réussi à surmonter sa peur".

Avec sa grand-mère, ses parents et ses trois soeurs, Lawin habite Istanbul depuis ses neuf ans. Son frère aîné est réfugié en Allemagne. La "solitude" est le mot qui définit le mieux sa vision de la cité du Bosphore. "Mes premiers jours dans cette ville ont été très difficiles. Je ne parlais pas turc alors. Et comme le kurde était interdit à l'école, je ne pouvais même pas avoir d'amis kurdes. Cette période a été un profond silence. Je fais encore des rêves silencieux la nuit".

Chômage des parents, travail des enfants
Le père de Lawin a fini par trouver un emploi. Cependant, "nous n'aurions pas pu survivre sans l'argent que continuait à nous envoyer mon frère de l'étranger", note la jeune femme.

Sa mère n'aurait pas pu trouver d'emploi même si elle l'avait souhaité. Tout comme la grand-mère de Lawin et comme d'autres femmes kurdes, elle ne savait pas lire et ne parlait pas turc. "Ma mère venait d'un village, qu'est-ce qu'elle pouvait faire dans une ville ? En plus, les hommes craignaient de perdre leur emprise sur leurs épouses et leurs filles. Ils les ont enfermées à la maison. Au bout d'un moment, les femmes se sont mises à faire de la couture et de la broderie depuis chez elles. Mais lorsque les parents n'avaient pas d'emploi, la responsabilité de gagner de l'argent revenait aux enfants. Ils ont commencé à travailler dans la rue ou dans des ateliers dépourvus de sécurité. Ils ne pouvaient pas aller à l'école".

Entre 1984 et 1999, 3.500 villages et hameaux ont été évacués, selon des statistiques non-officielles. Le ministère de l'Intérieur chiffre à 358.335 le nombre de personnes contraintes à une migration forcée, tandis que l'évaluation des ONG se situe entre un et quatre millions. Les personnes déplacées n'ont reçu aucune aide financière, ni aucune assistance pour l'alimentation, le logement, l'éducation, la santé ou l'emploi. Elles ont rejoint les rangs des destitués urbains.

La guerre dans la province de Diyarbakir, les préjugés à Istanbul

Lawin attire l'attention sur un autre problème important rencontré à Istanbul.
"Là-bas, la guerre qui se poursuivait. Et ici, les préjugés. Si l'on est kurde, on est primitif, ignorant, on est un traître potentiel, on a beaucoup d'enfants. Le Kurde mange le pain du Turc. Si vous êtes une femme kurde, vous êtes assez libre pour aller dans les montagnes mais votre premier devoir est de rester à la maison et de faire des enfants".

Qui est la femme kurde en réalité?
"Dans les années 1980, c'était la mère en pleurs. Dans les années 1990, c'était une combattante dans les montagnes, une leader au premier rang des manifestations de rue. A la maison, elle fait l'honneur de son mari en perpétuant les traditions, elle est victime de la violence masculine. Après la fin des années 1990, elle joue un rôle actif dans les ONG et les partis politiques. Elle est le sujet politique capable de s'opposer à l'homme quand c'est nécessaire. Aujourd'hui, sur les vingt parlementaires kurdes qui siègent à l'Assemblée nationale turque, huit sont des femmes".

Lawin pense qu'avec le ralentissement des affrontements armés en 1998, le rôle et les attentes des femmes ont changé. Celles qui étaient descendues dans la rue pour prendre part au mouvement kurde ont dû regagner leur foyer. Ensuite, elles ont commencé à formuler leurs revendications.

Lawin estime qu'une "domination masculine" est à l'oeuvre dans le mouvement kurde. "Les relations claniques, les liens familiaux et la gouvernance sont devenus des concepts importants. Les hommes avaient toujours le dernier mot. Les femmes ne pouvaient pas briser les chaînes de leur foyer et surmonter la violence domestique".

Les femmes oeuvrent pour elles-mêmes
Des femmes kurdes ont fondé Ka-Mer (le centre des femmes) à Diyarbakir il y a onze ans pour combattre les violences faites aux femmes. Aujourd'hui, Ka-Mer lutte contre les "crimes d'honneur", la polygamie, les mariages forcés et précoces et les autres formes de violences dans 23 villes de l'est et du sud-est de la Turquie où la population est majoritairement kurde.

La ligne d'urgence de Ka-Mer Diyarbakir a déjà reçu en tout les demandes de 2.527 femmes, toutes victimes de violences psychologiques - suivent les violences économiques, physiques et sexuelles. Plus de la moitié des mariages sont arrangés, les fiançailles ayant parfois lieu dès l'enfance. Il n'est pas rare non plus que lorsque le mari a été tué, la veuve soit contrainte d'épouser son beau-frère. Ces méthodes de mariage semblent avoir diminué au cours des dernières années mais la polygamie perdure. En général, les noces sont célébrées lorsque les femmes ont entre 14 et 20 ans. Autre point à relever : 85% des femmes requérant l'aide d'urgence de Ka-Mer n'occupent pas un emploi rémunéré.

Ka-mer est sans doute le plus connu des centres pour les femmes dans la province. Cependant, le nombre d'organisations faisant un travail similaire dans la région ou dans les grandes métropoles où vivent d'importantes populations kurdes ne doit pas être sous-estimé.

C'est encore loin, la paix?
Lawin résume la situation ainsi : "Je suis désorientée. Auparavant, j'étais très en colère. Mais maintenant, je peux comprendre que la douleur de la mère du guérillero ne justifie pas plus de choses que celle de la mère du soldat. Je ne veux pas prendre parti".
"Nous voulons la paix", clame-t-elle. "Parce que nous savons très bien ce qu'est la guerre. La vengeance n'amène que la mort. Il est important que nous fassions front contre toutes les violences".

Que s'est-il passé en Turquie?
Le Parti des travailleurs kurdes (PKK) est entré en lutte armée contre l'armée turque en 1984, exigeant la reconnaissance de l'identité et de la langue kurdes ainsi que le droit à l'autodétermination. On estime qu'entre 12 et 20 millions de Kurdes vivent dans les provinces de l'est et du sud-est de la Turquie. Il est difficile d'avancer un chiffre plus précis car le recensement ne pose pas de question sur l'identité ethnique.

Les affrontements ont perduré pendant des années, affectant tout le pays. En 24 ans, entre 30.000 et 40.000 personnes ont perdu la vie, des rebelles du PKK, des membres des services de sécurité, des gardes de villages kurdes et des civils. Des journalistes, des hommes d'affaires, des écrivains, des défenseurs des droits de l´homme et des responsables de partis politiques kurdes ont été tués par des suspects non-identifiés ou portés disparus durant leur détention.
Les armes se sont tues en 1999 lorsque le dirigeant du PKK a été arrêté au Kenya et transféré en Turquie pour son procès. Mais la trêve a été rompue en 2004: le PKK a repris sa lutte, utilisant ces dernières années des bases dans le nord de l'Irak. L'armée turque a récemment fait plusieurs incursions en Irak pour y attaquer les bases du PKK.

Les statistiques officielles et officieuses et l'histoire de Lawin racontent en fait une seule et même chose : en temps de guerre, les femmes et les enfants sont toujours - et de loin - la population la plus durement touchée. Ce sont les premiers perdants, les sacrifiés, les victimes. Et c'est pour cela que l'appel de Lawin en faveur de la "paix" prend tout son sens.
Burcin Belge
(16/04/2008)



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