JOSCHKA FISCHER • Cessons de négliger Ankara
Ministre des Affaires étrangères (vert) du gouvernement Schröder de 1998 à 2005, Fischer a quitté la vie politique en 2006. Diplomate aguerri, il enseigne depuis lors à l’université de Princeton et est devenu consultant pour le projet européen de gazoduc Nabucco. Il a 62 ans.
22.07.2010
Le non turc aux nouvelles sanctions contre l’Iran décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies [ce vote a eu lieu le 9 juin] témoigne de façon spectaculaire de la distance qui s’est installée entre l’Occident et la Turquie. Sommes-nous aujourd’hui en train de découvrir les conséquences de la politique étrangère du gouvernement AKP du Premier ministre Tayyip Erdogan, qui vise à faire changer la Turquie de camp, à la faire revenir à ses racines orientalo-musulmanes ?
Cette crainte est exagérée, voire erronée. Et même si on en arrivait là, ce serait plutôt le fait de l’Occident, non celui de la classe politique turque. Car la politique étrangère “néo-ottomane” d’Ankara, qui vise à mettre un terme aux conflits entre la Turquie et ses voisins, et aux conflits internes de ces pays, ainsi qu’à engager activement la Turquie dans la région, n’est nullement en contradiction avec les intérêts de l’Occident – bien au contraire. L’Occident va devoir enfin considérer la Turquie comme un partenaire sérieux, non plus comme un vassal. Après la décision sur l’Iran du Conseil de sécurité, Robert Gates, le ministre de la Défense américain, a violemment reproché à l’Europe d’avoir, par son comportement, contribué à l’aliénation de la Turquie. Cette franchise fort peu diplomatique a suscité une vive indignation à Paris et à Berlin – à tort, car Gates avait malheureusement touché juste. Depuis que Sarkozy a remplacé Chirac en France et Merkel succédé à Schröder en Allemagne, l’UE fait patienter la Turquie.
On ne le répétera jamais assez : la Turquie occupe une situation géopolitique idéale dans la région, une des zones clés pour la politique mondiale, en particulier pour la sécurité européenne. L’est de la Méditerranée, la mer Egée et l’ouest des Balkans, la région caspienne et le sud du Caucase, l’Asie centrale, le Proche-Orient et le Moyen-Orient : l’Occident ne pourra pas faire grand-chose dans cette zone sans le soutien d’Ankara. Et cela vaut non seulement en matière de sécurité mais également en matière d’énergie, alors que l’Europe espère trouver dans cette région des alternatives à sa dépendance croissante vis-à-vis des fournisseurs d’énergie russes.
L’Europe ne peut simplement pas se permettre de s’aliéner la Turquie. Et si celle-ci se détourne d’elle, c’est bien à cause de la politique européenne de ces dernières années. La sécurité de l’Europe au XXIe siècle se décidera essentiellement chez ses voisins du Sud-Est – donc là où la Turquie est incontournable et le sera encore plus à l’avenir. Or au lieu de lier la Turquie le plus étroitement possible à l’Europe et à l’Occident, la politique européenne pousse Ankara directement dans les bras de la Russie et de l’Iran ! Cette politique est à la fois paradoxale, absurde et témoigne d’une très courte vue. La Russie, l’Iran et la Turquie ont toujours été des rivaux et jamais des alliés dans la région. L’aveuglement européen ignore cet état de fait.
La confrontation entre la Turquie et Israël a elle aussi pour conséquence de renforcer les forces radicales du Proche-Orient. Une question se pose donc : qu’attendent exactement Bruxelles et les capitales européennes pour lancer un pont praticable entre les deux pays ? L’Occident ne peut accepter une rupture durable entre Israël et la Turquie si on ne veut pas que la région soit encore déstabilisée pour longtemps. L’Europe doit agir en ce sens. La Turquie n’est pas le seul endroit où l’Europe s’illustre par son inactivité. Bruxelles devrait s’engager massivement dans les pays du sud du Caucase et de l’Asie centrale (ou encore en Ukraine), où elle devrait, avec l’accord des petits Etats concernés, poursuivre et faire triompher ses intérêts énergétiques face à la Russie. Car la crise économique et financière mondiale, ainsi que l’entrée de la Chine sur la scène géopolitique, ce nouvel acteur qui planifie à long terme, font considérablement bouger les choses. L’Europe risque de ne plus avoir assez de temps, y compris dans son voisinage. Car tous ces pays souffrent de son absence de politique étrangère active et d’engagement fort. Que disait un homme d’Etat russe important de la fin du XXe siècle, au juste ? “Celui qui arrive trop tard sera puni par la vie.”
Cette crainte est exagérée, voire erronée. Et même si on en arrivait là, ce serait plutôt le fait de l’Occident, non celui de la classe politique turque. Car la politique étrangère “néo-ottomane” d’Ankara, qui vise à mettre un terme aux conflits entre la Turquie et ses voisins, et aux conflits internes de ces pays, ainsi qu’à engager activement la Turquie dans la région, n’est nullement en contradiction avec les intérêts de l’Occident – bien au contraire. L’Occident va devoir enfin considérer la Turquie comme un partenaire sérieux, non plus comme un vassal. Après la décision sur l’Iran du Conseil de sécurité, Robert Gates, le ministre de la Défense américain, a violemment reproché à l’Europe d’avoir, par son comportement, contribué à l’aliénation de la Turquie. Cette franchise fort peu diplomatique a suscité une vive indignation à Paris et à Berlin – à tort, car Gates avait malheureusement touché juste. Depuis que Sarkozy a remplacé Chirac en France et Merkel succédé à Schröder en Allemagne, l’UE fait patienter la Turquie.
On ne le répétera jamais assez : la Turquie occupe une situation géopolitique idéale dans la région, une des zones clés pour la politique mondiale, en particulier pour la sécurité européenne. L’est de la Méditerranée, la mer Egée et l’ouest des Balkans, la région caspienne et le sud du Caucase, l’Asie centrale, le Proche-Orient et le Moyen-Orient : l’Occident ne pourra pas faire grand-chose dans cette zone sans le soutien d’Ankara. Et cela vaut non seulement en matière de sécurité mais également en matière d’énergie, alors que l’Europe espère trouver dans cette région des alternatives à sa dépendance croissante vis-à-vis des fournisseurs d’énergie russes.
L’Europe ne peut simplement pas se permettre de s’aliéner la Turquie. Et si celle-ci se détourne d’elle, c’est bien à cause de la politique européenne de ces dernières années. La sécurité de l’Europe au XXIe siècle se décidera essentiellement chez ses voisins du Sud-Est – donc là où la Turquie est incontournable et le sera encore plus à l’avenir. Or au lieu de lier la Turquie le plus étroitement possible à l’Europe et à l’Occident, la politique européenne pousse Ankara directement dans les bras de la Russie et de l’Iran ! Cette politique est à la fois paradoxale, absurde et témoigne d’une très courte vue. La Russie, l’Iran et la Turquie ont toujours été des rivaux et jamais des alliés dans la région. L’aveuglement européen ignore cet état de fait.
La confrontation entre la Turquie et Israël a elle aussi pour conséquence de renforcer les forces radicales du Proche-Orient. Une question se pose donc : qu’attendent exactement Bruxelles et les capitales européennes pour lancer un pont praticable entre les deux pays ? L’Occident ne peut accepter une rupture durable entre Israël et la Turquie si on ne veut pas que la région soit encore déstabilisée pour longtemps. L’Europe doit agir en ce sens. La Turquie n’est pas le seul endroit où l’Europe s’illustre par son inactivité. Bruxelles devrait s’engager massivement dans les pays du sud du Caucase et de l’Asie centrale (ou encore en Ukraine), où elle devrait, avec l’accord des petits Etats concernés, poursuivre et faire triompher ses intérêts énergétiques face à la Russie. Car la crise économique et financière mondiale, ainsi que l’entrée de la Chine sur la scène géopolitique, ce nouvel acteur qui planifie à long terme, font considérablement bouger les choses. L’Europe risque de ne plus avoir assez de temps, y compris dans son voisinage. Car tous ces pays souffrent de son absence de politique étrangère active et d’engagement fort. Que disait un homme d’Etat russe important de la fin du XXe siècle, au juste ? “Celui qui arrive trop tard sera puni par la vie.”
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