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Τετάρτη 12 Ιανουαρίου 2011

Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne
"La politique doit être l'ultime référence. Je refuse que les banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro"
| 07.12.10
 A 85 ans, Jacques Delors est plus engagé que jamais – au service de l'Europe –, vif, précis, passionné. L'ancien président de la Commission (1985-1995), l'ex-ministre des finances (1981-1984), est l'un des hommes qui ont mis l'Union européenne sur la route de l'euro. Il met en garde contre l'affaiblissement de l'esprit communautaire.
On assiste à une montée des questions ou des récriminations sur l'euro. Qu'en pensez-vous ?
Jacques Delors : L'euro a permis à l'Europe de connaître dix ans de croissance acceptable de 2,1%, mais aussi 15% de créations d'emplois et un taux d'investissement de 22%, le plus élevé depuis 1990. Il nous a protégés contre nos laxismes. S'il n'avait pas existé, beaucoup de pays européens auraient souffert – la France comprise –, soit à cause de leurs déficits publics, soit en raison de leur endettement privé ou de leurs difficultés de politique intérieure.
Mais l'euro n'a pas stimulé l'économie européenne, car il souffrait d'un défaut de construction : il ne comportait pas le pacte de coordination des économies que j'avais préconisé en 1997-1998, pacte qui aurait accéléré la croissance et qui aurait permis de prévoir la montée des périls par la mise en garde de certains pays contre les excès de l'endettement privé et d'autres contre un déficit public insoutenable.
L'euro n'étrangle-t-il pas ces pays en leur interdisant une dévaluation ?
N'oublions pas que, grâce aux politiques de cohésion économique et sociale prévues par l'acte unique, ces pays ont pu réduire l'écart de revenu avec le reste de l'Europe. Par exemple, le revenu portugais équivalait à 52% du revenu moyen européen en 1986; aujourd'hui, il en représente environ 80%.
Je n'ai aucun regret que nous ayons fait l'euro et je me suis battu pour que l'Irlande en fasse partie, même si je juge saumâtre que ce pays ait répondu d'une singulière manière à cet effort de solidarité en pratiquant un dumping fiscal.
Les crises grecque et irlandaise vous ont-elles surpris ?
Non, je connaissais l'état des finances de la Grèce et l'endettement des banques irlandaises. Ce qui me surprend, c'est lorsque j'entends des gouvernants de la zone euro dire: "Nous ne sommes pas responsables de leurs bêtises." Alors, à quoi a servi le Conseil de l'euro? Pourquoi la Banque centrale européenne – uniquement braquée sur l'objectif de stabilisation des prix – n'a-t-elle pas sonné l'alarme? En l'absence de réaction des institutions européennes, la responsabilité collective est engagée.
Les principales alarmes qu'on ait entendues concernaient la France et l'Allemagne qui ne parvenaient pas à contenir, en 2004, leurs déficits publics sous les 3% de leur PIB et qui demandaient qu'on les dispense de cette obligation ! Deux comportements ont aggravé la situation: les délais mis à réagir à la crise et la cacophonie verbale des gouvernants qui doit cesser, car elle nourrit la spéculation.
N'est-ce pas l'Allemagne qui a le plus tergiversé pour adopter une attitude de solidarité face à la crise ? Elle n'est pas la seule dans cet état d'esprit. En 1991, quand nous discutions du traité de Maastricht, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient focalisés sur cinq critères qui ciblaient notamment l'inflation et les déficits. J'avais proposé qu'on y ajoute deux autres critères: le chômage de longue durée et le chômage des jeunes pour bien marquer le lien avec l'économique et le social. A la satisfaction discrète des Allemands et des Néerlandais, l'Espagne a refusé en prétextant la mauvaise qualité de ses statistiques…
Fallait-il élargir aussi vite la zone euro en y acceptant des pays peu rigoureux ?
Distinguons bien la zone euro à Seize et l'Union européenne à 27. Je suis toujours un partisan de l'élargissement de l'UE, mais il aurait dû y avoir une différenciation qui consiste à dire à ceux qui ne peuvent ou ne veulent suivre plus avant: on le fait sans vous, ce qui a été le cas de l'euro. Et à dire à ceux qui le font, l'euro: cela vous crée des obligations spéciales, car c'est un contrat de mariage plus contraignant.
Dans la zone euro, nous aurions pu nous doter d'un fonds conjoncturel et d'euro-obligations. Rien de tout cela n'a vu le jour en raison des réticences notamment – mais pas seulement – allemandes.
Le plus grand frein à l'Europe serait aujourd'hui l'Allemagne…
C'est l'économie la plus brillante…
… et la plus égoïste ?
Je juge absurde la réflexion de certains qui souhaitent que l'Allemagne fasse autant de bêtises que certains de ses voisins pour que l'Europe avance! Nous avons besoin de la vertu et de la puissance de l'Allemagne. Mais il lui faut reconnaître qu'elle a également des devoirs.
Reste que ce n'est pas aux banquiers qui ont reçu des Etats, comme prêts ou comme garanties, 4 589 milliards d'euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. Entendre les conseillers des banques nous intimer l'ordre de réduire les déficits publics puis, lorsque cela est en bonne voie, s'alarmer de la panne de croissance qui pourrait en résulter est une double peine insupportable !
Je partage l'avis de Wolfgang Schäuble selon lequel la politique doit être l'ultime référence et je refuse que ces banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro ! Que font-ils de leur côté, pour accepter des règles du jeu plus saines et les réglementations qui devraient en découler ?
Vous êtes confiant pour l'avenir de l'euro ?
Oui, mais je suis pragmatique. Il y a deux facteurs d'optimisme. Le premier est le Fonds européen de stabilisation tel qu'il sera donc pérennisé après 2013. Le second est ce qu'on appelle le "semestre européen", décidé par le Conseil européen en septembre dernier. [A partir de 2011, les ministres de l'économie et des finances des Vingt-Sept se retrouvent en mars et en juillet pour faire part de leurs orientations économiques et de leurs stratégies budgétaires à moyen terme. C'est un début de coordination des politiques économiques afin, notamment, de surveiller l'évolution des déséquilibres des uns et des autres.]
J'espère qu'ainsi nous finirons par appliquer un pacte de coordination des politiques économiques au sein des Seize de la zone euro. Puis sera institutionnalisé un débat sur les politiques économiques au niveau des Vingt-Sept de l'UE. On mettra les dossiers sur la table, la situation des uns et des autres (potentiel de croissance, compétitivité, marché du travail, indicateurs financiers et budgétaires…). Car il n'est pas possible de faire prospérer la zone euro sans cette volonté d'aller vers la convergence de nos économies et un minimum d'harmonisation fiscale et sociale.
Enfin, n'oublions pas la nécessaire rénovation du pacte de stabilité [les seuils d'endettement à ne pas dépasser – 3% de déficit budgétaire par rapport au produit intérieur brut; 60% pour la dette nationale] avec, cette fois, un mécanisme de sanctions pour les contrevenants. On verra bien ce que les Seize en feront et jusqu'où ils iront dans l'application des sanctions.
Le plus logique serait de se servir des fonds d'aide structurelle [destinés aux régions ou aux secteurs en difficulté au sein de l'Union], d'en priver – pour partie et provisoirement – les pays qui ne pratiqueront pas une politique saine.
C'est un pari ?
Oui, c'est un pari. Cela revient à dire ceci : pour bien fonctionner, l'Union économique et monétaire (la zone euro) supposait un bon équilibre entre l'économique et le monétaire, à défaut de nouveaux transferts de souveraineté dont la grande majorité des pays membres ne veut pas. Dès lors, le seul moyen de faire marcher l'union monétaire est d'appliquer ces règles indissociables à la concurrence loyale qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Le chaînon manquant, c'est la coopération entre les Seize, la coordination des politiques économiques.
Les Seize n'ont pas été capables d'une vraie coopération entre eux. Ils ne réalisent pas qu'ils ont un bien commun à gérer: l'euro. Or cela leur crée des obligations particulières.
On pourrait imaginer la création d'obligations publiques européennes – au sein des Seize –, non pour combler les déficits, mais pour financer des dépenses d'avenir; on pourrait créer un fonds d'aide conjoncturelle, à mettre en œuvre dans les phases de faible croissance; ou encore, ce que j'ai proposé au moment de la crise grecque, on pourrait imaginer une caisse européenne d'amortissement qui prendrait en charge une partie du déficit de chacun des Seize, une sorte de mutualisation partielle qui allégerait le poids de la dette pour chacun et dégagerait des marges pour le soutien de l'activité durant le processus d'assainissement des finances publiques et privées.
Il faut bien comprendre que le contrat de mariage entre les Seize de la zone euro est plus exigeant, bien sûr, que celui unissant les Vingt-Sept. Les dirigeants européens ne font pas assez la distinction entre les Seize de la zone euro et les Vingt-Sept de l'ensemble de l'Union. C'est une source de confusion.
Vous craignez pour la croissance en Europe du fait de la simultanéité des politiques de redressement budgétaire ?
A défaut du sursaut que je préconise, je crains la montée du chômage. Je crains qu'on ferme la porte du marché du travail aux jeunes, diplômés ou non, ce qui serait un drame. Je crains qu'on mette au chômage des femmes et des hommes de plus de 40ans, qui ne retrouveront pas de travail, qui vont vivre une tragédie personnelle, psychologique et économique. Oui, cela m'angoisse.
Pourquoi ? Affaiblissement de l'esprit européen ?
Absence de vision claire de l'avenir de la construction européenne. Pour que la zone euro fonctionne, il faut que l'esprit de coopération soit à la hauteur de l'esprit de compétition. Par fidélité à une certaine idée d'une Europe unie dans sa diversité, l'héritage des pères fondateurs.
Les dirigeants comprendraient mal la réalité économique du monde d'aujourd'hui, cette coexistence de deux capitalismes, le financier et l'autre ?
Oui, il y a un manque de compréhension. Le capitalisme financier repose sur deux principes: le marché est la sanction de tout; la finalité unique, c'est la création de valeur (boursière). Ce capitalisme-là, qui s'est imposé comme idéologie dominante, a provoqué une crise financière mondiale, il faut le combattre. L'autre, c'est celui de la production des biens et des services, celui de la vraie création de richesses.
Il faut travailler, chercher dans trois directions: retrouver les principes et le chemin d'une économie sociale de marché; poursuivre la construction européenne sans nouvelle délégation de souveraineté, puisque personne n'en veut; lutter contre les déficits sans casser la croissance, sans injurier l'avenir.
Je suis, selon la formule de Gramsci [Antonio Gramsci, 1891-1937, théoricien politique italien], un "pessimiste actif".
Si l'Europe se laisse aller, traversée comme elle l'est aujourd'hui par ces effluves populistes et nationalistes, c'est le déclin assuré, même si nos gouvernants ne s'en rendent pas compte. Et même le meilleur élève de la classe européenne y laissera des plumes…
Propos recueillis par Alain Faujas et Alain Frachon
Article paru dans l'édition du 08.12.10

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