Tous les désespoirs sont permis : tel était le titre d'un premier tome de mémoires qu'il publia chez Fayard en 2003, où il évoquait ses rencontres et ses rêves, usant du zigzag, de l'ellipse et de la digression. Ancien héros des nuits germanopratines, artiste révolutionnaire, Nico Papatakis, que l'on voyait cheminer, toujours élégant, dans son quartier, près du cTimetière Montparnasse, est mort le 17 décembre, à l'âge de 92 ans.
Né le 19 juillet 1918 en Ethiopie, d'une mère abyssine et d'un père grec qui l'envoie pendant trois ans apprendre le français dans un collège de frères maristes à Beyrouth, contraint à l'exil par Mussolini, valet de chambre en Grèce sous la dictature de Metaxas, modèle pour peintre, aventurier, Nico Papatakis arrive en France en 1939. Celui dont Jack Lang vient de saluer la mémoire en le qualifiant d'« homme de l'universel » récupère en 1947 un local - appartenant à un ancien boy de Mistinguett -, qui abritait le week-end des bals africains. Il en fait La Rose rouge, un cabaret où viennent se produire Juliette Gréco, les Frères Jacques, Mouloudji, Michel de Ré, les comédiens de la troupe Grenier-Hussenot. Il est l'époux d'Anouk Aimée, avec laquelle il a une fille. Voué à monter des spectacles insurgés, il se lance dans la production de films : des dessins animés d'Henri Gruel et le fameux Un chant d'amour, l'unique film réalisé par Jean Genet, avec qui il avait sympathisé à la Libération. « J'étais obsédé par cet exemple de révolté créateur », aimait rappeler Papatakis. Ce court-métrage fiévreux sur le désir d'un prisonnier pour l'homme de la cellule d'à côté, avec plans d'anatomie, blasons fétichisés, étreintes fantasmées, sera interdit durant un quart de siècle. En voyage aux Etats-Unis, Papatakis rencontre John Cassavetes, l'aide à boucler le financement de Shadows (1959). Il a alors une liaison avec le mannequin Christa Päffgen, qui lui emprunte son prénom et devient, sous le pseudonyme de Nico, l'égérie d'Andy Warhol et du Velvet Underground. De retour à Paris, Papatakis tente de mettre sur pied une adaptation du livre d'Henri Alleg contre la torture, La Question. Jean-Paul Sartre accepte d'en rédiger le scénario, Alain Resnais de le filmer, mais le projet tombe à l'eau. Résolu à manifester son hostilité à la guerre d'Algérie, il tente de convaincre Genet d'adapter Les Bonnes : à ses yeux, l'histoire des soeurs Papin qui servait de trame à la pièce de l'écrivain pouvait servir d'allégorie pour dépeindre l'insurrection des Algériens. C'est Jean Vauthier qui signe cette version brûlante des rapports maîtres-esclaves. Aucun cinéaste de la Nouvelle Vague n'acceptant de le tourner, il le filme lui-même. C'est Les Abysses (1962). Tournage électrique Ce film dérange. Tournage électrique, parce que Papatakis bouscule les traditions techniques, malmène, dit-on, ses comédiennes, les soeurs Bergé. « Comme je l'avais vu faire à l'Actors Studio, j'ai exercé des pressions morales sur mes actrices afin de les mettre en condition d'extérioriser une douleur psychique. Je n'ai jamais travaillé dans la complicité mais dans l'opposition. » Sortie en salles houleuse. D'une violence inouïe, cette peinture du sabbat de deux possédées hystériques fait scandale. D'autant que Malraux envoie le film au Festival de Cannes pour représenter la France. Le président du syndicat des producteurs démissionne. André Breton, Jean Genet, Jacques Prévert prennent la défense de Papatakis, qui se réjouit dans L'Express : « Même si mon film ne donne que l'envie de vomir ou de frapper, je serai content. Ce qui compte, c'est de ne pas laisser dormir les gens dans l'indolence. » Suivront, en 1968, Les Pâtres du désordre, tourné en Grèce, dans lequel il règle ses comptes avec les colonels, salué par Michel Foucault et Claude Lévi-Strauss, qui voit en lui un ethnologue. Puis La Photo (1987), sur la difficulté d'intégration en France de deux exilés ; Les Equilibristes (1991), hommage rendu à Abdallah, le jeune Arabe qui s'était suicidé après avoir été répudié par Genet. Entre-temps, Papatakis a signé Gloria Mundi, avec Delphine Seyrig, film corrosif sur la torture et les Palestiniens. Sorti en 1975, ce film avait vu sa carrière stoppée par des engins explosifs déposés dans les salles qui le projetaient. Il attaquait une idéologie qui autorise des actes barbares au nom de la mère patrie, une gauche mondaine se trompant de combat, privilégiant la libération des femmes soumises aux phallocrates à celle des peuples opprimés. Nico Papatakis avait eu l'espoir de refaire une version de ce film, qu'il trouvait toujours d'actualité. Jean-Luc Douin |
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