A Bethléem, la communauté chrétienne est confrontée à l'émigration de ses fidèles
| 25.12.
A l'heure de la prière, les musulmans se figent pour prier sur la place de la Crèche, qui jouxte la basilique. Les touristes qui sortent de la grotte de la Nativité s'arrêtent, interloqués, avant de s'égailler vers les échoppes de souvenirs religieux. Les mosquées se sont multipliées à Bethléem, où les appels des muezzins couvrent les chants et prières des chrétiens. Michel Sansour, directeur de l'école des Frères des écoles chrétiennes, souligne que "les différences culturelles entre musulmans et chrétiens, notamment dans la tenue des femmes, sont de plus en plus évidentes" et assure que la "pression" exercée par la première communauté sur la seconde est "diffuse, mais grandissante". Comme à Jérusalem-Est, plus de 80 % des Palestiniennes de Bethléem portent aujourd'hui le hidjab (foulard islamique). Il y a vingt-cinq ans, elles n'étaient que 25 %.
Dans les minibus qui accomplissent le trajet entre Jérusalem et Bethléem, il n'est pas rare de voir ces affichettes sur lesquelles on montre une femme recouverte d'un long voile et d'une robe ample qui ne laissent apparaître que le visage. "Que votre hidjab soit correct. Un large vêtement ne montre pas le corps, ne le moule pas", est-il conseillé.
DISCO ET TENUES MOULANTES
Trois silhouettes de jeunes filles portant voile et pantalon moulant, la tenue courante des étudiantes de l'université de Bethléem, sont barrées d'une croix. Le Jerusalem Charity Committee, un organisme réputé proche du Hamas, signe l'affichette. Mais Bethléem a d'autres visages : sur la place de la Crèche, le restaurant The Square, ouvert jusqu'à 1 heure du matin, propose des menus internationaux et de l'alcool à ses clients. Il n'est pas le seul.
Fini le temps où les jeunes de Bethléem ne disposaient d'aucun endroit où sortir le soir : désormais, au Divano Cafe ou au Taboo, ils peuvent s'étourdir de musique. Si certains chrétiens s'inquiètent d'une islamisation rampante de la ville de naissance du Christ, le maire (chrétien) de la cité, Victor Batarseh, comme le Père Marouane Di'des, curé catholique de Bethléem, relativisent le phénomène : le nombre des chrétiens diminue certes depuis plusieurs années à cause de l'émigration et d'une faible natalité, mais c'est la proportion par rapport à la communauté musulmane qui est en chute libre.
M. Batarseh reconnaît que les chrétiens ne représentent plus que 1,9 % de la Palestine historique, contre 20 % avant 1948, et moins d'un tiers de la population de la ville contre les trois quarts avant la création de l'Etat d'Israël. Le "triangle chrétien", formé de Bethléem et des communes voisines de Beit Sahour et Beit Jala, regroupe 40 % des quelque 60 000 chrétiens des territoires palestiniens, assure-t-il.
"Nous ne sommes pas une minorité, nous sommes les habitants historiques de Bethléem. Le maire doit rester chrétien, comme cela a toujours été le cas depuis la première municipalité, en 1884 ! Les musulmans acceptent cette situation : ils savent que cette ville est celle de Jésus-Christ, que c'est la Mecque des chrétiens", insiste-t-il.
Si le récent synode des évêques s'est inquiété de la situation des chrétiens de Terre sainte, explique le Père Marouane, "c'est parce que notre sanctuaire et les sites religieux de Bethléem ne doivent pas devenir un musée. Le prosélytisme fait partie de la foi des chrétiens comme des musulmans, ajoute-t-il, c'est donc normal qu'il y ait parfois une tension. Dans l'ensemble, chrétiens et musulmans n'ont pas de problèmes à vivre ensemble."
Michel Sansour dément lui aussi la moindre "persécution". "Il n'y a jamais eu ici d'exactions comme en Irak ou au Liban. Ce qui nous inquiète, c'est le phénomène de l'émigration." Les causes du départ des chrétiens sont multiples. La principale est économique : le bouclage de Bethléem par l'armée israélienne a considérablement réduit la liberté de mouvement, certains habitants n'ayant pu se rendre à Jérusalem - distante de 9 km - depuis quinze ans.
"A Bethléem, souligne Marie-Armelle Beaulieu, qui dirige la revue La Terre sainte, "le seul débouché est le tourisme. Parce qu'ils ont fait en général de meilleures études, les chrétiens partent à l'étranger, se marient et ne reviennent pas. De toute façon, le marché des diplômés à Bethléem est saturé". Paradoxalement, ce sont souvent les pays et les associations qui veulent protéger la minorité chrétienne qui accélèrent ce mouvement d'émigration, en offrant des bourses pour les Etats-Unis, l'Amérique latine, le Canada ou l'Europe.
EMIGRATION ÉCONOMIQUE
"Je dis aux diplomates : "Si vous voulez aider les étudiants, aidez-les ici, pas en Amérique ! Donnez des bourses pour fortifier la communauté chrétienne, pas pour l'affaiblir"", insiste le Père Marouane, qui assure : "L'émigration politique n'est rien par rapport à l'émigration économique." Les bourses de la custodie franciscaine de Terre sainte (institution catholique chargée de veiller aux intérêts de l'Eglise en Terre sainte) ne sont plus données qu'aux étudiants qui acceptent d'aller en Jordanie ou en Egypte, et d'en revenir...
Victor Batarseh se félicite du récent boom touristique dont profite sa ville, avec près de 1,4 million d'entrées cette année, et assure que l'émigration a pratiquement cessé en 2010. Le taux de chômage, indique-t-il, a baissé de 28,5 % à 18 % en trois ans. Mais cette accalmie économique, étroitement dépendante des aléas du processus de paix israélo-palestinien, profite en priorité aux musulmans d'autres villes de Cisjordanie, qui s'installent à Bethléem.
C'est notamment l'argent des habitants d'Hébron qui, dit-on, alimente la mafia du racket immobilier. Les maisons des chrétiens qui ont émigré sont souvent accaparées par des prédateurs locaux, qui se font adjuger la propriété de biens laissés en jachère. "Le problème essentiel, conclut M. Batarseh, c'est l'occupation israélienne, pas la coexistence avec les musulmans. Si l'occupation cesse, il n'y aura plus d'émigration chrétienne."
En attendant, à la judaïsation croissante de la société israélienne (du moins à Jérusalem) répond un islamisme de plus en plus affirmé. Rien d'étonnant si les chrétiens développent de plus en plus un sentiment de "minorité assiégée".
Laurent Zecchini
Article paru dans l'édition du 26.12.10
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