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Τετάρτη 12 Ιανουαρίου 2011

Deux cents jours sans gouvernement... et dans l'indifférence, pour la Belgique
 30.12.10
La Belgique a célébré, dans l'indifférence générale, jeudi 30 décembre, un drôle de record : elle a franchi le cap des 200 jours sans gouvernement de plein exercice. Le précédent record avait été établi lors de la crise politique de 2007, avec 194 jours sans gouvernement.
Aucune solution ne semble se dessiner à court terme. Les innombrables péripéties et discussions qui ont suivi les élections législatives de juin 2007 devraient toutefois connaître un tournant, peut-être décisif, au début de la semaine prochaine.
Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne
"La politique doit être l'ultime référence. Je refuse que les banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro"
| 07.12.10
 A 85 ans, Jacques Delors est plus engagé que jamais – au service de l'Europe –, vif, précis, passionné. L'ancien président de la Commission (1985-1995), l'ex-ministre des finances (1981-1984), est l'un des hommes qui ont mis l'Union européenne sur la route de l'euro. Il met en garde contre l'affaiblissement de l'esprit communautaire.
On assiste à une montée des questions ou des récriminations sur l'euro. Qu'en pensez-vous ?
Jacques Delors : L'euro a permis à l'Europe de connaître dix ans de croissance acceptable de 2,1%, mais aussi 15% de créations d'emplois et un taux d'investissement de 22%, le plus élevé depuis 1990. Il nous a protégés contre nos laxismes. S'il n'avait pas existé, beaucoup de pays européens auraient souffert – la France comprise –, soit à cause de leurs déficits publics, soit en raison de leur endettement privé ou de leurs difficultés de politique intérieure.
Mais l'euro n'a pas stimulé l'économie européenne, car il souffrait d'un défaut de construction : il ne comportait pas le pacte de coordination des économies que j'avais préconisé en 1997-1998, pacte qui aurait accéléré la croissance et qui aurait permis de prévoir la montée des périls par la mise en garde de certains pays contre les excès de l'endettement privé et d'autres contre un déficit public insoutenable.
L'euro n'étrangle-t-il pas ces pays en leur interdisant une dévaluation ?
N'oublions pas que, grâce aux politiques de cohésion économique et sociale prévues par l'acte unique, ces pays ont pu réduire l'écart de revenu avec le reste de l'Europe. Par exemple, le revenu portugais équivalait à 52% du revenu moyen européen en 1986; aujourd'hui, il en représente environ 80%.
Je n'ai aucun regret que nous ayons fait l'euro et je me suis battu pour que l'Irlande en fasse partie, même si je juge saumâtre que ce pays ait répondu d'une singulière manière à cet effort de solidarité en pratiquant un dumping fiscal.
Les crises grecque et irlandaise vous ont-elles surpris ?
Non, je connaissais l'état des finances de la Grèce et l'endettement des banques irlandaises. Ce qui me surprend, c'est lorsque j'entends des gouvernants de la zone euro dire: "Nous ne sommes pas responsables de leurs bêtises." Alors, à quoi a servi le Conseil de l'euro? Pourquoi la Banque centrale européenne – uniquement braquée sur l'objectif de stabilisation des prix – n'a-t-elle pas sonné l'alarme? En l'absence de réaction des institutions européennes, la responsabilité collective est engagée.
Les principales alarmes qu'on ait entendues concernaient la France et l'Allemagne qui ne parvenaient pas à contenir, en 2004, leurs déficits publics sous les 3% de leur PIB et qui demandaient qu'on les dispense de cette obligation ! Deux comportements ont aggravé la situation: les délais mis à réagir à la crise et la cacophonie verbale des gouvernants qui doit cesser, car elle nourrit la spéculation.
N'est-ce pas l'Allemagne qui a le plus tergiversé pour adopter une attitude de solidarité face à la crise ? Elle n'est pas la seule dans cet état d'esprit. En 1991, quand nous discutions du traité de Maastricht, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient focalisés sur cinq critères qui ciblaient notamment l'inflation et les déficits. J'avais proposé qu'on y ajoute deux autres critères: le chômage de longue durée et le chômage des jeunes pour bien marquer le lien avec l'économique et le social. A la satisfaction discrète des Allemands et des Néerlandais, l'Espagne a refusé en prétextant la mauvaise qualité de ses statistiques…
Fallait-il élargir aussi vite la zone euro en y acceptant des pays peu rigoureux ?
Distinguons bien la zone euro à Seize et l'Union européenne à 27. Je suis toujours un partisan de l'élargissement de l'UE, mais il aurait dû y avoir une différenciation qui consiste à dire à ceux qui ne peuvent ou ne veulent suivre plus avant: on le fait sans vous, ce qui a été le cas de l'euro. Et à dire à ceux qui le font, l'euro: cela vous crée des obligations spéciales, car c'est un contrat de mariage plus contraignant.
Dans la zone euro, nous aurions pu nous doter d'un fonds conjoncturel et d'euro-obligations. Rien de tout cela n'a vu le jour en raison des réticences notamment – mais pas seulement – allemandes.
Le plus grand frein à l'Europe serait aujourd'hui l'Allemagne…
C'est l'économie la plus brillante…
… et la plus égoïste ?
Je juge absurde la réflexion de certains qui souhaitent que l'Allemagne fasse autant de bêtises que certains de ses voisins pour que l'Europe avance! Nous avons besoin de la vertu et de la puissance de l'Allemagne. Mais il lui faut reconnaître qu'elle a également des devoirs.
Reste que ce n'est pas aux banquiers qui ont reçu des Etats, comme prêts ou comme garanties, 4 589 milliards d'euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. Entendre les conseillers des banques nous intimer l'ordre de réduire les déficits publics puis, lorsque cela est en bonne voie, s'alarmer de la panne de croissance qui pourrait en résulter est une double peine insupportable !
Je partage l'avis de Wolfgang Schäuble selon lequel la politique doit être l'ultime référence et je refuse que ces banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro ! Que font-ils de leur côté, pour accepter des règles du jeu plus saines et les réglementations qui devraient en découler ?
Vous êtes confiant pour l'avenir de l'euro ?
Oui, mais je suis pragmatique. Il y a deux facteurs d'optimisme. Le premier est le Fonds européen de stabilisation tel qu'il sera donc pérennisé après 2013. Le second est ce qu'on appelle le "semestre européen", décidé par le Conseil européen en septembre dernier. [A partir de 2011, les ministres de l'économie et des finances des Vingt-Sept se retrouvent en mars et en juillet pour faire part de leurs orientations économiques et de leurs stratégies budgétaires à moyen terme. C'est un début de coordination des politiques économiques afin, notamment, de surveiller l'évolution des déséquilibres des uns et des autres.]
J'espère qu'ainsi nous finirons par appliquer un pacte de coordination des politiques économiques au sein des Seize de la zone euro. Puis sera institutionnalisé un débat sur les politiques économiques au niveau des Vingt-Sept de l'UE. On mettra les dossiers sur la table, la situation des uns et des autres (potentiel de croissance, compétitivité, marché du travail, indicateurs financiers et budgétaires…). Car il n'est pas possible de faire prospérer la zone euro sans cette volonté d'aller vers la convergence de nos économies et un minimum d'harmonisation fiscale et sociale.
Enfin, n'oublions pas la nécessaire rénovation du pacte de stabilité [les seuils d'endettement à ne pas dépasser – 3% de déficit budgétaire par rapport au produit intérieur brut; 60% pour la dette nationale] avec, cette fois, un mécanisme de sanctions pour les contrevenants. On verra bien ce que les Seize en feront et jusqu'où ils iront dans l'application des sanctions.
Le plus logique serait de se servir des fonds d'aide structurelle [destinés aux régions ou aux secteurs en difficulté au sein de l'Union], d'en priver – pour partie et provisoirement – les pays qui ne pratiqueront pas une politique saine.
C'est un pari ?
Oui, c'est un pari. Cela revient à dire ceci : pour bien fonctionner, l'Union économique et monétaire (la zone euro) supposait un bon équilibre entre l'économique et le monétaire, à défaut de nouveaux transferts de souveraineté dont la grande majorité des pays membres ne veut pas. Dès lors, le seul moyen de faire marcher l'union monétaire est d'appliquer ces règles indissociables à la concurrence loyale qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Le chaînon manquant, c'est la coopération entre les Seize, la coordination des politiques économiques.
Les Seize n'ont pas été capables d'une vraie coopération entre eux. Ils ne réalisent pas qu'ils ont un bien commun à gérer: l'euro. Or cela leur crée des obligations particulières.
On pourrait imaginer la création d'obligations publiques européennes – au sein des Seize –, non pour combler les déficits, mais pour financer des dépenses d'avenir; on pourrait créer un fonds d'aide conjoncturelle, à mettre en œuvre dans les phases de faible croissance; ou encore, ce que j'ai proposé au moment de la crise grecque, on pourrait imaginer une caisse européenne d'amortissement qui prendrait en charge une partie du déficit de chacun des Seize, une sorte de mutualisation partielle qui allégerait le poids de la dette pour chacun et dégagerait des marges pour le soutien de l'activité durant le processus d'assainissement des finances publiques et privées.
Il faut bien comprendre que le contrat de mariage entre les Seize de la zone euro est plus exigeant, bien sûr, que celui unissant les Vingt-Sept. Les dirigeants européens ne font pas assez la distinction entre les Seize de la zone euro et les Vingt-Sept de l'ensemble de l'Union. C'est une source de confusion.
Vous craignez pour la croissance en Europe du fait de la simultanéité des politiques de redressement budgétaire ?
A défaut du sursaut que je préconise, je crains la montée du chômage. Je crains qu'on ferme la porte du marché du travail aux jeunes, diplômés ou non, ce qui serait un drame. Je crains qu'on mette au chômage des femmes et des hommes de plus de 40ans, qui ne retrouveront pas de travail, qui vont vivre une tragédie personnelle, psychologique et économique. Oui, cela m'angoisse.
Pourquoi ? Affaiblissement de l'esprit européen ?
Absence de vision claire de l'avenir de la construction européenne. Pour que la zone euro fonctionne, il faut que l'esprit de coopération soit à la hauteur de l'esprit de compétition. Par fidélité à une certaine idée d'une Europe unie dans sa diversité, l'héritage des pères fondateurs.
Les dirigeants comprendraient mal la réalité économique du monde d'aujourd'hui, cette coexistence de deux capitalismes, le financier et l'autre ?
Oui, il y a un manque de compréhension. Le capitalisme financier repose sur deux principes: le marché est la sanction de tout; la finalité unique, c'est la création de valeur (boursière). Ce capitalisme-là, qui s'est imposé comme idéologie dominante, a provoqué une crise financière mondiale, il faut le combattre. L'autre, c'est celui de la production des biens et des services, celui de la vraie création de richesses.
Il faut travailler, chercher dans trois directions: retrouver les principes et le chemin d'une économie sociale de marché; poursuivre la construction européenne sans nouvelle délégation de souveraineté, puisque personne n'en veut; lutter contre les déficits sans casser la croissance, sans injurier l'avenir.
Je suis, selon la formule de Gramsci [Antonio Gramsci, 1891-1937, théoricien politique italien], un "pessimiste actif".
Si l'Europe se laisse aller, traversée comme elle l'est aujourd'hui par ces effluves populistes et nationalistes, c'est le déclin assuré, même si nos gouvernants ne s'en rendent pas compte. Et même le meilleur élève de la classe européenne y laissera des plumes…
Propos recueillis par Alain Faujas et Alain Frachon
Article paru dans l'édition du 08.12.10
Entretien avec Helmut Schmidt, ancien chancelier allemand (1974-1982)
Helmut Schmidt : "L'Europe manque de dirigeants"
07.12.10
Le Monde.fr et Le Monde (daté mercredi 8 décembre 2010) publient conjointement, en exclusivité française, un entretien avec Helmut Schmidt, ancien chancelier allemand (SPD, 1974-1982), réalisé par l'Omfif (Official Monetary and Financial Institutions Forum).
Depuis de nombreuses années, l'Allemagne mène deux politiques parallèles : attachement à la stabilité monétaire et financière d'une part, engagement à l'égard de l'intégration européenne de l'autre. Avec la crise en cours dans l'union économique et monétaire, estimez-vous que ces deux politiques ne sont plus compatibles ?
Permettez-moi d'abord de dire un mot du contexte politique d'ensemble.
Je ne parlerai pas du gouvernement britannique – il vient d'entrer en fonction et je n'en connais pas les dirigeants. Aussi ma réponse ne concernera pas la Grande-Bretagne.
Mais je dirais que, d'une manière générale, l'Europe manque de dirigeants. Il lui manque des personnalités, à la tête des Etats nationaux ou dans les institutions européennes, qui aient une maîtrise suffisante des questions nationales et internationales et qui fassent preuve d'une capacité de jugement adéquate. Il existe bien sûr quelques exceptions, comme le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, mais le Luxembourg pèse d'un poids trop faible pour jouer un rôle substantiel.
Pour en revenir plus précisément à votre question, je ne pense pas que les Allemands en général ni la classe politique allemande aient renoncé à la stabilité. Les conditions qui ont prévalu en 2008, 2009 et 2010 les ont contraints – comme quasiment tout le monde – à trahir leurs idéaux de stabilité, mais cela n'était pas le résultat de leur libre volonté mais du ralentissement économique.
J'ajouterai que l'actuel gouvernement allemand est composé de gens qui apprennent leur métier sur le tas. Ils n'ont eu jusqu'ici aucune expérience des affaires politiques ou économiques mondiales. Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, est un homme auquel je souhaite de réussir et pour lequel j'éprouve un profond respect. Il a une bonne compréhension des problèmes budgétaires et fiscaux. Mais en ce qui concerne les marchés monétaires internationaux, les marchés des capitaux, le système bancaire, la surveillance des banques ou les banques fantômes, tout cela est nouveau pour lui. Il en va de même pour Angela Merkel. Loin de moi l'idée de critiquer M. Schäuble ou Mme Merkel, mais nous avons besoin d'avoir aux postes de responsabilités des gens qui comprennent le monde économique d'aujourd'hui.
Certains pensent que le problème est plus profond que cela. D'après eux, ce fut une erreur fondamentale dès le départ de s'engager dans une union monétaire sans procéder à une union politique, sans même avoir une perspective d'union politique.
C'est ce que la Bundesbank répète depuis trente ans. Au fond d'eux-mêmes, ces gens sont des réactionnaires. Ils sont hostiles à l'intégration européenne.
A qui pensez-vous exactement ? Qui avez-vous en tête, puisque des hommes comme Hans Tietmeyer [président de la Bundesbank de 1993 à 1998] ne jouent plus un rôle important…
Mais ses successeurs, à une exception près peut-être, ont des positions réactionnaires vis-à-vis de l'intégration européenne. On ne peut pas vraiment dire qu'ils ont une pensée libérale. Ils ont une tendance excessive à agir et réagir en fonction des seuls intérêts nationaux et n'ont pas compris la nécessité stratégique de l'intégration européenne.
On connaît l'expression: "Beim Geld hört die Freundschaft auf" [l'amitié s'arrête avec l'argent]. On a le sentiment que l'on demande aujourd'hui aux Allemands, en tant que collectivité, de venir en aide aux Etats moins fortunés. Et les Allemands ont beaucoup de mal à l'accepter.
L'erreur a été commise à l'époque de Maastricht, en 1991-1992. L'Europe comprenait alors douze Etats membres. Et ceux-ci ne se sont pas contentés d'inviter les autres pays à entrer dans l'Union européenne, ils ont également inventé l'euro et invité chacun à devenir membre de la zone euro. Or cela a été fait sans préalablement modifier ni clarifier les règles. C'est là que de grandes erreurs ont été commises. Et nous pâtissons aujourd'hui directement des conséquences de cette omission à fixer des règles.
Les Etats de l'Union européenne auraient-ils dû limiter l'euro à un petit groupe de pays ?
C'est mon avis – et ils auraient également dû définir plus précisément les règles de conduite économique des participants. Ce que l'on appelle le pacte de stabilité et de croissance n'est pas un texte ayant force de loi. C'est juste un accord entre gouvernements. Et il est très regrettable qu'au début de ce siècle, la France et l'Allemagne aient enfreint les règles de ce pacte. Mme Merkel voudrait corriger ces erreurs, mais ses chances d'y parvenir sont faibles, notamment parce qu'elle manque de sens diplomatique.
En son for intérieur, Hans Tietmeyer ne voulait pas que les Italiens entrent dans l'union monétaire. Dans les années 1990, vous l'aviez critiqué en le qualifiant de nationaliste allemand parce qu'il affirmait que l'Europe avait besoin d'un noyau dur. N'est-ce pas précisément ce que vous recommandez à présent ?
Beaucoup de choses se sont passées entre-temps – la mondialisation de la spéculation, la mondialisation de l'argent et des marchés des capitaux, la mondialisation des instruments financiers. Nous avons assisté au rejet du projet de Constitution européenne, nous avons conclu ce complexe traité de Lisbonne. Beaucoup de choses se sont passées et, dans le même temps, les personnalités capables de jouer un rôle dirigeant se sont faites de plus en plus rares. Jacques Delors était quelqu'un de très important. Il a été remplacé par des gens dont personne ne connaît vraiment le nom.
Il s'est passé la même chose au niveau des secrétaires permanents, des commissaires, des premiers ministres et de… comment s'appelle-t-il déjà… Van Rompuy ? Lequel a paraît-il une secrétaire aux affaires étrangères – une Anglaise dont on peut aisément se passer de connaître le nom. La même chose est vraie, plus ou moins, du Parlement européen. La seule personnalité qui émerge dans les institutions européennes est Jean-Claude Trichet. J'ignore s'il est en position de force au sein de la Banque centrale européenne, mais autant que je puisse en juger, il n'a commis jusqu'ici aucune erreur notable.
Mais son temps est compté. Son mandat s'achève fin octobre 2011 et ne peut être renouvelé.
Oui, je sais. Mais il est totalement indépendant. D'une certaine manière, cela pourrait lui permettre de s'exprimer en toute liberté. Le problème est de savoir qui lui prêtera attention alors qu'il doit quitter son poste dans moins d'un an.
La Grèce et le Portugal ont intégré l'union monétaire avec une balance extérieure nette plus ou moins égale à zéro : leurs actifs extérieurs et leurs dettes extérieures étaient plus ou moins équivalents. Ensuite, ils ont enregistré chaque année pendant une dizaine d'années des déficits des comptes courants équivalant à 10 % de leur PIB. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que leur dette extérieure nette atteint aujourd'hui 100 % de leur PIB.
La question qu'il faut se poser est : comment se fait-il que personne n'ait rien remarqué – ni à Bâle [siège de la Banque des réglements internationaux], ni à Bruxelles, ni dans un quelconque bureau des statistiques ? Personne ne semble avoir compris.
Soit dit en passant, pendant une longue période, l'élite politique allemande n'a pas compris que nous enregistrions des excédents dans nos comptes courants. Nous, Allemands, faisons la même chose que les Chinois – la grande différence étant que les Chinois ont leur propre monnaie, ce qui n'est pas notre cas. Si nous avions notre propre monnaie, elle aurait été réévaluée à l'heure qu'il est.
Garder le deutschemark, comme le souhaitait Tietmayer, aurait, au moins une fois sinon deux au cours des vingt dernières années, provoqué une spéculation contre le deutschemark d'une ampleur pire que ce à quoi nous avons assisté avec la Grèce ou l'Irlande.
Jusqu'à présent je reste totalement favorable à l'idée d'une monnaie commune, même si les dirigeants européens ont échoué à fixer des règles et ont commis l'énorme erreur d'accueillir n'importe qui.
Je pense qu'il existe une probabilité d'au moins 51 % pour qu'au cours des vingt prochaines années on voie émerger un noyau dur au sein de l'Union. Ce noyau comprendrait les Français, les Allemands, les Néerlandais – pour ce qui est des Italiens, j'ai quelques doutes. Je suis pratiquement sûr que les Britanniques n'en feront pas partie, et la même chose pourrait être vraie des Polonais. Il ne s'agirait pas d'un noyau dur défini par des documents écrits, mais d'un noyau dur de facto, pas de jure.
Et, bien entendu, on y trouverait les Etats du Benelux, l'Autriche, et probablement le Danemark et la Suède…
Il est probable que l'Autriche en soit, et possible qu'y figurent aussi le Danemark et la Suède. Quant aux Danois, ils sont très prudents et suivraient probablement Londres.
Je sais que vous avez souvent déclaré que, si les Allemands gardaient le deutschemark, ils se rendraient très impopulaires auprès du reste du monde ; leurs banques et leur monnaie seraient les nos 1 mondiaux, tous les autres pays seraient contre eux, et c'est pourquoi l'Allemagne devrait adopter l'euro afin de s'intégrer à une vaste dynamique européenne. Tout cela est assez ironique, parce que certains disent que l'Allemagne a beaucoup profité de l'euro du fait que le deutschemark a été maintenu à un niveau faible, et que cela a aidé les exportations allemandes…
Je me demande si le soi-disant bénéfice que nous avons retiré de l'adoption de l'euro est réellement un bénéfice. Je me demande si le fait de présenter des excédents permanents des comptes courants constitue vraiment un avantage. Sur le long terme, cela n'a rien d'avantageux…
...parce qu'à long terme ces actifs devront être dépréciés car ils ne seront pas remboursés…
Oui… cela signifie que vous vendez des marchandises et que tout ce que vous obtenez en échange, c'est de la monnaie papier qui sera un jour ou l'autre dévaluée, et que vous devrez rayer de votre bilan. C'est pourquoi vous privez votre propre pays de produits que, dans d'autres circonstances, la population aimerait consommer.
Diriez-vous que dans vingt ans, au cas où un noyau dur émerge, la monnaie serait plus forte qu'aujourd'hui ?
Ce noyau dur ne se limiterait sans doute pas au domaine des monnaies, mais interviendrait probablement sur le terrain de la politique étrangère à mener par exemple vis-à-vis de la Chine, de l'Iran, de l'Afghanistan ou d'une nouvelle coalition d'Etats musulmans. La constitution d'une telle coalition de pays musulmans est l'un des grands dangers du XXIe siècle. Si un président américain voulait larguer une bombe atomique sur l'Iran, les Européens seraient suffisamment forts pour refuser de se ranger aux côtés de Washington. Aujourd'hui, en Europe, personne n'est assez puissant pour pouvoir prendre une telle position.
Parlons un peu de la France. Les Français penchent en permanence dans deux directions contradictoires – vers le Sud, mais aussi vers l'Allemagne. Pensez-vous que l'on puisse dire de façon irréfutable que la France choisira toujours de se ranger aux côtés de l'Allemagne dans une union monétaire plus resserrée et plus compacte ?
C'est difficile à dire. J'en estimerais la probabilité à 51 % – ce qui laisse 49 % d'incertitude. Je ne suis pas prophète. Je ne sais pas. Cela dépend beaucoup du comportement des Allemands. A l'époque où j'étais au pouvoir, je laissais toujours les Français me précéder sur le tapis rouge. Je ne suis jamais apparu comme leader, sauf une fois – au sujet des missiles nucléaires à moyenne portée qui étaient braqués sur les villes allemandes –, et cela m'a finalement coûté mon poste.(...)
Dans le passé on avait l'habitude de dire: "Nous ne voulons pas une Europe allemande, mais une Allemagne européenne" [Wir wollen kein deutsches Europa sondern ein europaisches Deutschland]. Pourtant beaucoup trouvent aujourd'hui qu'en raison de son importance comme principal pays créancier d'Europe, l'Allemagne fait trop sentir son poids en Europe.
J'ai l'impression que Merkel n'en a pas conscience.
Il est possible qu'en tant que créancier, vous vous sentiez vulnérable, que vous ayez l'impression que vos actifs vont être dépréciés. Peut-être n'est-ce pas très souhaitable d'être un créancier, car cela vous rend impopulaire. Peut-être que cela signifie aussi que votre solde en banque, vos réserves seront toujours moins élevés que vous l'aviez cru, du fait que les gens ne vont pas être capables de rembourser leurs dettes…
Cela va bien au-delà de la question des monnaies et des réserves de devises. Et donc cela a à voir avec la psychologie… Je parle de la psychologie des nations, de leurs opinions publiques et des options qu'elles affichent publiquement. [A cause des nazis et de la seconde guerre mondiale] l'Allemagne aura une dette à payer pendant encore très longtemps – durant tout le XXIe siècle et peut-être même le XXIIe. Il est un fait que les Allemands se comportent parfois comme s'ils étaient les plus forts, ils ont tendance à donner des leçons à tout le monde. En réalité, ils sont plus vulnérables qu'ils ne croient.
Pourtant les Allemands eux-mêmes ne se sentent pas aussi forts que cela, j'ai l'impression que l'homme de la rue se sent quelque peu incertain, les salaires en termes réels sont sous pression depuis de nombreuses années. Je crois que l'Allemand moyen ne se sent ni fort ni assuré.
C'est probablement exact. Mais cela ne s'applique pas à la classe politique. Cela ne s'applique pas nécessairement à l'aile droite des chrétiens-démocrates. Et cela ne concerne pas nécessairement l'extrême gauche.
L'Europe pensait qu'elle allait pouvoir éviter les crises en se débarrassant de ses taux de change intérieurs et en créant l'union monétaire. Mais il apparaît aujourd'hui qu'en raison de la mondialisation de la finance, les spéculateurs vont désormais attaquer les "spreads" [entre les marchés obligataires des différents pays]. Auparavant ils s'attaquaient aux monnaies, aujourd'hui, ils s'en prennent aux marchés des obligations.
L'un des points les plus faibles de l'économie mondiale est qu'il n'existe aucun contrôle sur le comportement des gestionnaires financiers. Vous pouvez diviser l'humanité en trois catégories. Dans la première, on trouve les gens normaux comme vous et moi. Il a pu nous arriver, dans notre jeunesse, de chaparder une pomme sur l'arbre du voisin ou de voler une tablette de chocolat dans un supermarché. Mais à part cela, nous sommes des êtres humains fiables et normaux. En deuxième lieu, vous avez une petite catégorie de gens ayant un caractère criminel. La troisième catégorie, enfin, est formée des banquiers d'investissement. On y trouve toutes les sociétés de Bourse et leurs opérateurs. Ils opèrent sous des noms différents, mais ils se ressemblent tous.
Et la Grande-Bretagne ? Vous entreteniez d'excellentes relations avec James Callaghan, mais il n'a pas intégré le système monétaire européen. Croyez-vous que nous, Britanniques, ayons eu raison de ne pas entrer dans l'union monétaire ? Je sais que vous pensez que nous resterons en dehors pendant très longtemps et je crois que vous avez raison. Pensez-vous que c'était une décision fondamentalement correcte ?
Fondamentalement, je pense que de Gaulle avait raison – bien avant le système monétaire européen.
Vous voulez dire qu'il avait raison de penser que le Royaume-Uni préférerait toujours les Etats-Unis à l'Europe ?
Pendant longtemps j'ai cru au bon sens britannique et à la raison de l'Etat britannique. J'ai grandi dans une atmosphère très anglophile. J'ai été un fervent partisan d'Edward Heath, qui a fait entrer la Grande-Bretagne dans la communauté européenne. Mais ensuite, il y a eu Harold Wilson, puis Margaret Thatcher, qui ne se sont pas toujours comportés de façon aussi judicieuse. Et puis nous avons eu Tony Blair, qui s'est placé dans une position de dépendance beaucoup trop grande à l'égard de l'Amérique. Vous ne pouvez à la fois dépendre à ce point des Etats-Unis et jouer un rôle responsable en Europe. Mais les Anglais ont toujours eu le chic pour s'en sortir – et c'est exactement ce que nous sommes en train de faire en Europe : essayer tant bien que mal de nous en sortir.
© Le think tank britannique Official Monetary and Financial Institutions Forum (OMFIF)www.omfif.org
Propos recueillis par David Marsh (traduit de l'anglais par Gilles Berton)


En Turquie, la désillusion à l'égard de l'Union
européenne progresse
14.11.10
Seuls 38 % des Turcs se disent favorables à l'adhésion de leur pays à l'UE,
selon un sondage




L'Europe est votre première femme ! » A sa manière, Daniel Cohn-Bendit a rappelé au chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, que la poursuite des négociations d'adhésion à l'Union européenne (UE) devait rester une priorité pour Ankara. Le ministre a apprécié son échange « franc et sincère » avec le président du groupe Verts du Parlement européen, mercredi 3 novembre. Mais, face à l'opposition parfois agressive de plusieurs pays membres, principalement la France et l'Allemagne, l'enthousiasme proeuropéen s'essouffle.
A peine 38 % des Turcs se déclarent en faveur d'une adhésion à l'Union, selon le dernier sondage Eurobaromètre établi par la Commission européenne. Plus qu'une véritable opposition, ce chiffre traduit une résignation sur l'issue des négociations. « Rien n'avance, constate Cengiz Aktar, directeur du département d'études européennes à l'université Bahçesehir d'Istanbul. Les raisons sont connues : la méthode de M. Sarkozy, la politique de revanche de la République de Chypre et l'absence d'une perspective claire donnée à la Turquie. Il faut fixer une date pour l'adhésion. L'Europe ne sert plus de levier au processus de changement qui est à l'oeuvre en Turquie », poursuit-il.
Les pourparlers, commencés il y a cinq ans à Bruxelles, avancent au ralenti. « Trop lentement », s'est plaint Ankara. Sur les 35 chapitres de règles communautaires auxquelles la Turquie doit se conformer, seuls 13 ont été ouverts. Aucun nouveau volet n'a pu être entamé cette année, et 18 restent bloqués par Chypre ou par la France, qui font obstruction à l'adhésion turque. Il en va ainsi du dossier pourtant crucial de l'énergie, sur lequel Chypre a mis son veto. « Cela fait cinquante ans que la Turquie est laissée à la porte de l'Union européenne », a regretté le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, amer, le jour de la sortie du rapport annuel de suivi de la Commission européenne sur les progrès de la candidature.
« Depuis que le match a commencé, les règles du jeu ont été modifiées », et la Turquie « prend ombrage de cette situation », a-t-il ajouté. Dans un entretien à la BBC, le président de la République Abdullah Gül a dénoncé les « obstacles artificiels et injustes » placés devant la candidature turque, censée satisfaire des critères techniques, mais qui doit finalement répondre à des arguments politiques.
Le rapport de la Commission présenté reste nuancé. Suffisamment pour permettre au ministre chargé des affaires européennes, Egemen Bagis, de se laisser aller à l'autosatisfaction. « Nous avons progressé dans tous les domaines. Les progrès réalisés par la Turquie ces huit dernières années sont sidérants », estime-t-il. Les chapitres restant à ouvrir sont quasiment épuisés. L'impasse de la question chypriote demeure le principal obstacle. La Turquie refuse d'ouvrir ses ports et ses aéroports aux Chypriotes grecs qui, de leur côté, empêchent la levée de l'embargo sur la partie turque de l'île, une promesse faite par Bruxelles en 2004. Chypre joue « le gamin capricieux de l'Union », selon Daniel Cohn-Bendit.
Dès lors, Ankara menace de poursuivre d'autres objectifs, même si, officiellement, la volonté d'adhérer à l'Union européenne ne faiblit pas. La Turquie, dont l'économie est l'une des plus dynamiques de la planète, veut rejoindre le club des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), les grands pays émergents. A Oxford, le 8 novembre, Abdullah Gül a expliqué que l'équilibre mondial se déplaçait vers l'Est et que, pour rester forte, l'Union devait intégrer la Turquie. « Peut-être que, le jour venu, les Turcs diront : «Nous avons lancé les réformes, nous avons adopté les standards européens, ça nous suffit», et peut être qu'ils ne sentiront pas le besoin de devenir membres de l'Union », a conclu M. Gül.
L'enthousiasme européen peut renaître facilement, plaide l'universitaire Cengiz Aktar, pour qui ce désamour est « conjoncturel ». Un accord sur l'assouplissement des procédures de visa pour les Turcs voyageant dans l'Union, actuellement en négociation, permettrait d'apaiser les susceptibilités. « Nous avons besoin de la dynamique, des techniques, des normes et des valeurs européennes pour continuer à nous réformer », insiste M. Aktar.
Guillaume Perrier



Point de vue
Non, l'Allemagne n'a pas été la grande bénéficiaire de l'euro
| 27.10.10
L'Allemagne a profité de l'euro de la même manière que tous les autres pays européens. L'euro a créé une zone de stabilité en Europe et protégé les pays membres contre les turbulences monétaires. Grâce à lui, le taux d'inflation a été plus bas que celui enregistré par le deutschemark au cours de ses cinquante ans d'existence. Il a favorisé le commerce et a été un pas important vers la poursuite de l'intégration politique de l'Europe. Mais a-t-il aidé l'Allemagne davantage que les autres pays ?
Nombreux sont ceux, dont Christine Lagarde, qui le pensent, compte tenu de l'excédent des exportations de l'économie allemande. Ils veulent même obliger l'Allemagne à augmenter les salaires pour réduire ces excédents. Ce faisant, ils oublient que les excédents d'exportations correspondent par définition à des exportations de capitaux. Le capital est l'élixir de vie du système capitaliste. Là où il afflue, l'économie est florissante, là où il fuit, elle est faible. Il est donc erroné d'interpréter les excédents d'exportations comme des bénéfices commerciaux.
Durant les années qui ont précédé la crise, l'Allemagne a souffert d'une hémorragie d'exportations de capitaux qui ont été utilisés pour être injectés dans les économies des pays de la périphérie sud-ouest de l'Europe, ainsi que des pays anglo-saxons et de la France. La transfusion sanguine a permis d'y déclencher un boom sans précédent de la conjoncture nationale, qui s'est étendu des marchés de l'immobilier à toute l'économie, tandis que l'Allemagne était affaiblie.
Depuis l'annonce de l'euro au milieu des années 1990, l'Allemagne a été le deuxième plus gros exportateur de capitaux du monde après la Chine. La part du lion de ses épargnes était investie dans d'autres pays au lieu de l'être en Allemagne.
Au milieu des années 1995 à 2008, 76 % des épargnes allemandes (personnes privées, Etat et entreprises) ont été investies à l'étranger, contre seulement 24 % en Allemagne. Le pays a connu, pendant ce temps, le taux d'investissement net le plus bas de tous les Etats membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le deuxième plus bas taux de croissance de tous les pays européens. En ce qui concerne le produit intérieur brut par habitant, l'Allemagne - oui, même l'Allemagne de l'Ouest considérée seule - se trouvait toujours en dessous du niveau français. Cela ne ressemble pas au bilan d'un profiteur de l'euro...
Le boom de l'économie nationale que les sorties de capitaux ont provoqué dans des pays tels que la Grèce, l'Espagne, l'Irlande et, dans une moindre mesure, la France, a conduit dans ces pays à une rapide augmentation de l'activité de la construction. Les ouvriers du bâtiment trouvaient des emplois et dépensaient leur salaire en biens de consommation. Les propriétaires de biens immobiliers se réjouissaient de fortes augmentations de leurs avoirs, qui les incitaient à d'autres investissements financés par le crédit.
Tout cela a conduit à une croissance réelle élevée, mais aussi à une surchauffe inflationniste qui a réduit la compétitivité et créé des déficits dans leur commerce extérieur. Ces déficits étaient la contrepartie nécessaire des importations de capitaux.
En Allemagne, cela a été l'inverse. Les sorties de capitaux ont déclenché un marasme de l'économie intérieure avec une chute des valeurs immobilières. Les prix et les salaires n'ont que peu augmenté, beaucoup plus lentement que dans les pays voisins. De 1995 à 2008, l'Allemagne a dévalué réellement de 18 % par rapport à ses partenaires européens. Cette dévaluation a permis les excédents d'exportations de ce pays. En soi, ces excédents étaient une compensation bienvenue pour la conjoncture intérieure en mauvaise situation. Cependant, ils n'étaient pas un signe de la force du pays, mais le résultat de la faiblesse due à une hémorragie depuis des années. C'est là que réside l'erreur d'interprétation de Christine Lagarde.
Les sorties de capitaux allemands n'étaient pas seulement le résultat de l'euro. Ces dernières années, j'ai fréquemment évoqué le problème de la faiblesse de l'Allemagne en tant que pays où investir, en particulier du fait de la régulation excessive du marché de l'emploi et de la politique sociale. Cette faiblesse est devenue un problème particulier lorsque l'euro a été introduit, car avec lui a été créé en Europe un marché des capitaux unique qui occultait les différences de taux d'intérêt autrefois énormes.
Les capitaux financiers pouvaient désormais traverser les frontières sans entrave et apparemment sans risque, pour financer à l'étranger des projets productifs. C'était un gros avantage pour les pays importateurs de capitaux. Les investisseurs allemands en ont également profité, ou du moins le croyaient-ils. Cependant, les entreprises allemandes, dont la productivité et le niveau des salaires dépendent largement de l'investissement dans le pays, ont subi des pertes douloureuses, qui ont placé la société allemande devant un risque de décrochage.
La crise de l'endettement européen montre que bien des rendements prévus ne pourront être atteints. De nombreux investisseurs allemands ne reverront plus leur argent. Cela les incite à penser différemment. Les écarts entre les taux d'intérêt recommencent à augmenter et le capital d'épargne est placé à nouveau de plus en plus en Allemagne. Un boom du bâtiment vient de commencer en Allemagne et la croissance allemande se situe pour la première fois depuis longtemps de nouveau en tête de la zone euro.
De manière symétrique, il se passe ce qui est arrivé dans les pays de la périphérie sud-ouest de l'Europe pendant ces quinze dernières années. Tandis que les anciens pays endettés stagnent, l'Allemagne connaît un boom. Les salaires et les prix augmenteront plus vite dans les années à venir pour cette raison. Cela diminuera la compétitivité allemande et réduira les excédents du commerce extérieur, ainsi que le souhaite Christine Lagarde.
 Hans-Werner Sinn, président de l'Institut de recherche économique IFO de Munich